Le cheveu dans tous ses états est au coeur de l'exposition "Cheveux chéris - Frivolités et trophées" présentée par le Musée du quai Branly.
Le commissaire, Yves Le Fur, docteur en histoire de l'art, conservateur général, directeur du département du patrimoine et des collections du Musée du quai Branly, a réuni près de trois cents peintures, sculptures, photographies et objets ethnographiques pour, annonce-t-il, "proposer au visiteur une lecture poétique et singulière de ce sujet universel au croisement de l’anthropologie, de l’histoire de l’art ancien et contemporain, de la mode et des mœurs".
De la matière à la symbolique, sociale, culturelle ou cultuelle, le sujet est vaste à l'instar de l'affiche qui présente, au regard de la beauté rayonnante de l'actrice Suzanne Cloutier immortalisée sur papier glacée par Sam Levin, le photographe des stars du grand écran, un autre visage pétrifié, mais en chair et en os, celui d'une tête réduite par les tribus jivaros.
Cheveux chéris : des cheveux et des hommes
A l'image de son intitulé, l'exposition répond à un partti pris fort et navigue entre légèreté et gravité, selon une articulation toujours ambivalente, pour mettre en résonance les images et la matière, la symbolique et la matière et elle se déroule en deux parties foisonnantes même si elles ne peuvent prétendre à l'exhaustivité.
La première est consacrées aux frivolités au sens large du terme avec une sélection de productions artistiques qui illustrent la thématique de la représentation de la chevelure.
Elle commence par les modes capillaires avec une spectaculaire galerie ethnique en noir et blanc qui met face à face les bustes en marbre des rois et dignitaires notamment ceux réalisés par François Joseph Bosio, artiste officiel sous le Premier Empire et la Restauration, aux bustes anthropologiques en bronze de Charles Cordier.
La chevelure constitue un élément de parure essentiellement féminin qui est célébrée de tous temps et sous toutes les latitudes dans des acceptions diverses.
Ainsi, toujours dans un clivage noir/blanc, au regard des ostentatoires portraits officiels de dirigeants africains, la sculpture grandeur nature en pierre du 14ème siècle, chef d’œuvre de la Collégiale d’Ecouis.
Représentée comme le moyen de recouvrir la nudité symbole de péché, la chevelure dans sa somptuosité naturelle habille Sainte Marie Madeleine.
De même, les spectaculaires coiffures africaines contemporaines photographiées par nigérian J. D. 'Okhai Ojeikere voisine avec une magnifique sculpture représentative de la statuaire française académique.
Avec cette délicate sculpture en marbre, Denys Pierre Puech célèbre "L'Aurore" dans sa nudité originelle, sculpture judicieusement éclairée par dessous avec deux miroirs permettant de visualiser le visage caché sous le voile des cheveux.
Femme pécheresse ou femme nymphe, chevelure symbole ambigu de repentir, d'animalité et de séduction, les cheveux s'apparentent également à un caractère sexuel secondaire chez les femmes.
La monstration évoque donc la symbolique sexuelle de la couleur des cheveux avec les portraits photographiques d'actrices de Sam Levin dans une opposition brunes vs blondes, opposition qui constituait la thématique de l'exposition "Brune-Blonde" présentée en 2001 par la Cinémathèque Française qui était consacrée à la chevelure dans l'art et le cinéma.
Les brunes torrides, telles Gina Lollobrigida et Ava Gardner, rivalisent avec les blondes glaciales comme Michèle Morgan, alors que les rousses sont particulièrement prisées par les peintres symbolistes ("Jeune femme" de Charles Maurin et "La liseuse" de Jean-Jacques Henner).
En transition avec la seconde partie, une section est dédiée à la perte des cheveux.
Une perte subie du fait de la maladie, de la punition, avec les saisissantes photos de femmes tondues à la Libération prises par Robert Capa, ou de la vieillesse avec les portraits réalisés par des photographes qui se sont penchés sur cette thématique (Donigan Cumming "Untitled"), Dennis Stock ("Réfugiée chinoise"), Nicholas Nixon ("C.C. Boxon").
La perte peut également être acceptée non seulement lors du passage chez le coiffeur mais également comme une dédition personnelle qui, par son aspect ritualiste, permet de glisser vers la seconde partie de l'exposition qui se penche sur les différents pouvoirs attribués aux cheveux, souvent liés à la mort et au sacré, avec une sélection conséquente d'objets ethnographiques puisés les collections du Musée du quai Branly.
Les cheveux sont utilisés comme matériau pour des parures sur tous les continents avec les capes en feutre et cheveux du Yunnan, les ornements de coiffure en Equateur, les perruques masculines de Papouasie et les coiffes de femme d'Inde.
De l'ornement esthétique à l'objet rituel lié au pouvoir magique attaché aux cheveux, il n'y a qu'un pas.
Le pouvoir magique peut être attaché au culte des ancêtres avec la momification et sont présentées une impressionnante momie assise de la civilisation Chancay du Pérou et une tête de momie égyptienne recouverte de feuilles d'or.
A défaut de momification, comme en Nouvelle Calédonie, sont utilisés pour leur imputrescibilité les cheveux du défunt qui viennent orner des crânes modelés à ses traits.
Et, bien évidemment, impossible de ne pas évoquer la section la plus impressionnante de l'exposition avec les pratiques rituelles qui utilisent les cheveux encore attachés à la tête avec les masques cimiers à tête humaine du Nigéria fabriqués à partir de crânes humains et de cheveux et la pratique du trophée humain tenant au pouvoir attribué aux cheveux des ennemis avec le salp, la tête-trophée momifiée de la civilisation pré-incaïque et les fameuses têtes réduites jivaros.
La note de fin est percutante. Loin de la frivolité. Mais l'exposition quasiment circulaire permet d'admirer une fois encore l'Aurore avant de la quitter. |