Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Laurent Binet, mise en scène de Laurent Hatat, avec Olivier Balazuc et Leslie Bouchet.
Avec beaucoup d'intelligence et de sagacité, Laurent Hatat porte à la scène "HHhH", le premier roman de Laurent Binet, Prix Goncourt du premier roman 2010, qui, s'il semble traiter essentiellement de l'articulation dialectique de la fiction et de la vérité historique, aborde de nombreuses thématiques dont la représentation sur une scène ne relèvent ni de l'évidence ni de la facilité.
Un écrivain veut faire le récit authentique d'un fait historique, l'assassinat en 1942 par trois résistants tchèques du général SS notamment et entre autres, fondateur des unités de police politique militarisées du IIIème Reich chargées de missions d'extermination, Einsatzgruppen, Reinhard Heydrich surnommé le cerveau d'Himmler, dont il était l'adjoint direct, d'où l'acronyme allemand HHhH.
Au cours de son exploration préparatoire, il prend conscience des difficultés de l'entreprise de factualisation de l'Histoire qui se heurte non seulement à la parcellarité des matériaux d'origine qui implique le recours à une fictionnalisation supplétive mais à leur possible subjectivité liée au pouvoir et au sens des mots et à leur dévoiement.
La scénographie pluridisciplinaire aussi présente qu'esthétisante avec des projections vidéo, images d'archives et extraits de films de fiction, les lumières très travaillées de Dominique Fortin, l'habillage sonore de Bertrand Faure et mouvement graphique avec la surimpression du texte imprimé conçue par Charles Hannotte serait presque surabondante si elle ne participait de la restitution réussie de l'espace mental du protagoniste.
Avec une partition en deux actes, en premier lieu, à la manière d'un long prologue, l'univers littéraire de l'écrivain qui est encore un homme ancré dans le réel, ensuite de l'invasion quasi destructrice de son esprit par les fantômes du passé qui l'amènent à une véritable transe médiumnique pour reconstituer et (re)vivre l'épisode historique qui l'obsède.
Avec deux comédiens investi qu'il dirige au cordeau, Laurent Hatat réussit le pari qu'il a fixé à l'intrigue dramatique, celle d'une "tension entre le désir inaccessible d'exactitude et le souffle débridé de la vie".
Leslie Bouchet, jeune promue du CNSAD et qui y avait été déjà remarquée, campe avec beaucoup de naturel et de finesse la muse amoureuse sacrifiée sur l'autel de la création littéraire.
Son aîné, Olivier Balazuc, comédien remarquable et aguerri, livre une composition aussi incarnée que maîtrisée de la folie créatrice qui s'empare de lui au point de le conduire au bord du gouffre mental et de la destruction physique. Ne cédant jamais à l'égostisme complaisant, il livre une saisissante performance qui porte magnifiquement le propos du spectacle. |