Nous avons rencontrés
les membres de La Compagnie La nuit et le moment qui joue en ce
moment "L'Oeuf" de Félicien Marceau, un texte décapant
et riche d'enseignement, qui s'inscrit dans la ligne du théâtre
vivant.
L'interprétation tout à fait remarquable des cinq
comédiens, dont quatre endossent tour à tour une trentaine
de rôles différents, nous a donné envie de les
rencontrer.
Passionnés, généreux, partageant et défendant
la même idée du théâtre, ils ont foi en
l'homme et dans leur métier.
Les comédiens qui jouent dans" L’œuf"
font-ils tous partie de la Compagnie La nuit et le moment ?
Stéphane Cottin : Nous faisons tous partie
de la Compagnie La nuit et le moment puisque le spectacle a été
créé par La nuit et le moment Théâtre
avec nous tous. Le spectacle a été joué au
Théâtre Mouffetard et il s’est arrêté
de manière un peu rapide à notre goût car nous
n’avions pas le sentiment d’avoir pu exploiter à
fond cette pièce. Pendant deux ans, nous avons seriné
Christophe Lidon pour reprendre le spectacle. Un jour, il nous a
dit : "Débrouillez –vous ! Créez votre
structure et reprenez ce spectacle !" Sur ces paroles, j’ai
crée ma compagnie pour reprendre ce spectacle, le produire
sur Avignon ; c’était en fait une production collective
puisque nous sommes tous partis gratuitement pour soutenir ce spectacle.
Cela a donné lieu à une tournée avec Atelier
Théâtre Actuel et à notre venue ici au Théâtre
Daniel Sorano à Vincennes. C’est un spectacle La nuit
et le moment théâtre produit par Léo théâtre.
La structure que vous avez créée
est purement conjoncturelle pour ce spectacle ou a-t-elle d’autres
projets ?
Stéphane Cottin : L’œuf en a
été l’occasion. La création de cette
structure est intervenue à un moment opportun pour moi. La
compagnie a bien sur d’autres projets. Moi-même j’ai
des projets de mise en scène et de production pour d'autres
spectacles de Christophe.
Quels sont pour vous l’intérêt
le plaisir de jouer un texte un peu ancien et d’un auteur
qui n’est plus très joué ?
Bernard Malaka : Nous, et puis aussi le public,
nous trouvons que ce texte n’a pas pris une ride. Il contient
toujours des phrases ou des répliques qui parlent à
l’inconscient de chacun. Cela tient à l’écriture.
Ainsi par exemple hier soir, des spectateurs nous ont dit : Tiens,
cela ferait un bon boulevard ! Je laisse toujours dire. Et ensuite,
ils ont rajouté : Mais ça dit quand même des
choses !. La pièce parle de la vie mais par petites touches
dans lesquelles chacun de nous est amené à se reconnaître.
Ce texte aborde des sujets toujours d’actualité et
agite l’esprit. Nous avons beaucoup travaillé sur ce
texte sur son contenu mais aussi pour découvrir de nouvelles
formes. C’est une de nos grosses motivations et nous aimons
défendre ce texte.
Vous inscrivez-vous dans la démarche du
théâtre vivant en ce
qu’il veut notamment montrer l’homme à l’homme
?
Stéphane Cottin : C’est bien la raison
pour laquelle ce texte n’a pas vieilli même si du point
de vue de la forme on peut dire qu'il est daté, en termes
de date d’écriture. Ce qui fait sa grandeur c’est
effectivement qu’il montre l’homme à l’homme,
le mythe profond de l’intégration de l’homme
parmi les siens dans le milieu qui l’entoure. Il parle de
l’homme au sens premier du texte et c’est ce qui en
fait un vrai texte de théâtre. Et il n’est pas
près d’être obsolète, ni dépassé.
Bernard Malaka : Il parle de l’homme dans
son intimité. Il parle de petites choses qui parlent à
l’intime. L’effet n’est pas toujours aussi flagrant
que cela mais cela agit en retour, comme l’effet kiss cool.
Des spectateurs sont même assez touchés par ce texte
et viennent nous parler de leur vie. La finalité est là,
et même au-delà à de ce que nous espérions.
Vous avez évoqué le travail sur
le texte. Quel a été le rôle du metteur en scène
?
Stéphane Cottin : Le texte n’a pas
été modifié dans l’écriture. Il
y a 1 ou 2 personnages qui ont sauté. Par exemple, il y avait
3 sœurs Berthelet. Il n’a pas été réactualisé.
L’écoute particulière de Christophe Lidon sur
le texte est de le mettre en correspondance par exemple avec le
cinéma de Bertrand Blier. Toutes les adresses au public,
la manière de couper dans la temporalité de la narration
lui rappellent le cinéma de Blier et donc il nous dirige
dans ce sens là et cela donne à ces phrases écrites
dans un style daté une consonance très moderne.
Bernard Malaka : La grosse idée aussi c’est que lors
de la création la pièce comportait une distribution
d’une trentaine de comédiens avec des changements de
décor énormes pour un spectacle qui durait 2 h 15.
C’était une grosse machinerie. Là on se retrouve
sur une espèce d’équilibre, de fil avec uniquement
la performance de cinq comédiens qui sont là pour
changer de personnages en 2 secondes. Cette forme est très
nouvelle.
Justement, s’agissant des comédiens.
Un peu moins pour vous Bernard Malaka qui interprétez uniquement
si l’on peut dire le rôle de Magis qui est plus linéaire,
mais pour les autres, comment gérez-vous ces changements
quasiment à vue ?
Philippe Catoire : Il ne faut pas se poser la question.
Il faut être entièrement le personnage que l’on
joue et quand on passe derrière le paravent il ne s’agit
que de choses concrètes : on pense au chapeau, aux lunettes
sans réfléchir à ce que l’on va être
dans les secondes suivantes. C’est devenu, à force
de travail, comme un réflexe et on est l’autre. Comment
cela se passe, je ne le sais pas.
Marie Perrin : Derrière les paravents, nous
avons un regard sur les autres comédiens qui se transforment.
Pendant le changement, nous voyons le changement pour devenir le
personnage. (ndlr : s’adressant à Stéphane Cottin)
On te voit devenir Joseph.
Le spectateur attentif constate également
une certaine métamorphose physique.
Bernard Malaka : Moi qui ne suis pas dans le même
exercice je les vois, je constate ces transformations physiques
Marie Perrin : Tout à fait. Il y a de spectateurs
qui m’ont demandé combien nous étions.
Stéphane Cottin : Nous ne sommes que 5.
Nous n’enterrons personne avant le salut !
Et vous, pour tenir la scène en maître
du jeu du début à la fin ?
Bernard Malaka : J’ai le texte.(rires) Ce
qui tombe bien par ce que sinon je serais un peu embêté.
Magis est un homme qui vient raconter sa vie comme devant un tribunal
car il a quand même commis une mauvaise action. Le tribunal
c’est le public. Le but du jeu est d’arriver à
être son propre avocat. Qu’à la fin, le public
ne soit pas absolument contre Magis, en repoussant l’échéance
le plus loin possible.
Marie Perrin : Le public ne t’en veut pas
à la fin, il est avec toi.
Bernard Malaka : Oui mais il me juge.
Stéphane Cottin : La critique du journal
La croix était super :" La question :valait-il mieux
qu’il rentre dans le moule ?" Il s’agit d’une
question qui terrorise. On dit non mais en même temps cela
veut dire qu’on cautionne ce meurtre. La pièce nous
enserre donc dans un piège.
Bernard Malaka : C’est une question essentielle,
existentielle.
Stéphane Cottin : Quel parti peut-on prendre
à la fin ?
Bernard Malaka : L’enjeu est de maintenir
le trouble jusqu’au bout et c’est très jouissif.
Marie Perrin : Une autre question est aussi : "Le
meurtre parfait existe-t-il ?"
Bernard Malaka : C’en est la preuve…pour
tous les amateurs.
Pouvez-vous nous dévoiler quelques projets
de votre compagnie
?
Stéphane Cottin : Il faut préciser
ce que l’on met sous le terme de troupe de nos jours. Ce n’est
plus qu’un plaisir de travailler ensemble. Une troupe constituée
qui aurait les moyens de garder les acteurs en permanence cela n’existe
plus de nos jours qu’à la Comédie Française..
Bernard Malaka: …et avec Mouchkine…
Philippe Cottin : Mouchkine a aussi de longues
périodes sans activité.
Bernard Malaka : Ce sont des familles.
Stéphane Cottin : Un projet qui me tient
particulièrement à cœur et qui est le prochain
objectif de la compagnie est de monter L’avare de Molière
avec Bernard dans le rôle d’Harpagon. Nous avons également
fait une lecture d’une pièce inédite de Félicien
Marceau qui a pour titre L’année du président
au Théâtre Daniel Sorano qui a remporté un succès,
je ne dirais pas inattendu car on l’espérait, …
Bernard Malaka : …surprenant…
Stéphane Cottin : oui surprenant dans son
ampleur. Ce qui fait qu’il n’est
pas impossible que nous nous attelions à cette pièce.
Pour quelle visibilité ?
Stéphane Cottin : 2005 me paraît un
peu juste. Plutôt 2006.
La compagnie vous permet-elle de monter des pièces
que vous ne pouvez pas trouver ailleurs ?
Stéphane Cottin : En ce qui me concerne,
c’est la réponse que j’ai donné à
ce mur sans aucune fissure qui se dresse de plus en plus haut devant
nous et qui fait qu’il devient de plus en plus compliqué
de faire des choses intéressantes. Il m’est arrivé
à plusieurs reprises de jouer dans des projets que je ne
n’aimais pas artistiquement parce qu’il fallait que
je travaille. Donc il arrive un moment où on se dit : "Je
vais arrêter de vouloir qu’on me désire et je
vais désirer les projets dans lesquels je suis". Cela
me rend beaucoup plus actif et cela me satisfait.
Comme une bulle d’oxygène ?
Stéphane Cottin : Ce n’est pas une
compensation, quelque chose vers laquelle on se rabat par dépit
ou par déception. C’est une façon différente
de sortir du marasme ambiant. Les artistes redeviennent les moteurs
pour que les décisions de production soient davantage entre
les mains des artistes que de gens qui sont éloignés
de la fabrication du spectacle.
Bernard Malaka : Et puis aussi échapper
à ce discours autour du théâtre qui n’est
pas bon en ce moment sans pour cela agir de son côté.
C’est la possibilité d’aller dans son propre
désir, faire aussi des choses qui ne plairont pas, mais au
moins d’avoir essayé. C’est une première
réponse. C’est le fait aussi qu’avec le temps
nous nous connaissons bien, nous connaissons les possibilités
de chacun et cela permet déjà de ne pas se tromper
au niveau de la distribution des rôles car le casting est
à la base d’un succès.
Vous n’êtes pas des comédiens
débutants. Donc avec le recul, quel regard avez-vous sur
l’évolution du théâtre ?
Bernard Malaka : C’est un sujet des discussions
entre comédiens. Et à chaque fois, il n’y a
pas de réponse. Le théâtre est aussi le reflet
d’une société. Il y a eu des quelques réponses
concrètes avec le ministère Lang pendant lequel il
y a eu beaucoup d’argent injecté dans la culture. Et
automatiquement dès qu'il y a de l’argent, il y a des
choses qui se font. Ce qui veut pas dire que ce sont des choses
de qualité à chaque fois. Mais cela entraînait
une vie. Avec les réductions de subventions cela devient
plus difficile.
Le contexte économique est difficile pour
tout le monde. C’est lié. Il y aussi une forme d’esprit
qui change un peu, un manque de repères à tous les
niveaux, chez les politiques et les autres. Le déséquilibre
général affecte même le théâtre.
Alors qu'il y a des sujets, des choses à dire justement en
ce moment. Il est vrai que le théâtre surtout dans
le privé est devenu très insaisissable. Une pièce
qui commence en septembre on ne sait pas si elle va rester à
l’affiche jusqu’à Noël…
Stéphane Cottin : …parce que les gens
qui décident quoi va se jouer où l’envisagent
d’une manière qui confine à l’absurde
: "Mon Dieu quels ingrédients, quelle pierre philosophale
vais-je pouvoir inventer pour remplir ma salle ?" sans songer
à ce que je veux. "Qu’est-ce que je veux faire
avec cet outil ?". Je ne connais pas très bien le subventionné
qui très hermétique pour ceux qui n’ont pas
fait des écoles nationales mais ce que j’entends dans
le privé autour de moi ce sont des gens avec des yeux comme
des papillons dans des phares, affolés en train d’essayer
de remplir leur salle sans prendre le temps de se poser pour dire
: "Voilà j’en envie de parler de ça, j’ai
envie de telle tonalité, j’ai envie d’apporter
cela aux gens qui vont venir". La crise des intermittents a
eu le mérite, chez certains d’entre nous, de nous faire
poser des questions sur le sens que nous nous donnons à cette
activité.
Bernard Malaka : La question fondamentale c’est
:"Pourquoi fait-on ce métier ?". Au bout d’un
moment on peut très bien s’endormir parce que l’on
travaille régulièrement, on gagne sa vie. Quand l’obstacle
survient, la vraie question se pose de savoir comment va-t-on le
franchir, pour continuer, pour aller plus loin.
La démarche des théâtres est
essentiellement économique actuellement.
Stéphane Cottin : Et ce qui est drôle c’est
qu’ils se plantent économiquement.
Marie Perrin : Il en est de même pour l’ouverture
des théâtres à 19 heures. Ils ne doubleront
jamais le nombre de spectateurs. On comprend mal leur démarche.
Philippe Catoire : Ils espèrent en risquant
2 spectacles que l’un des 2 marche.
Si celui de 20h30 se casse la gueule ils mettent l’autre à
laplace.
Marie Perin : Donc les comédiens sont encore
pris en otage !
Philippe Catoire : Absolument !
Stéphane Cottin : Je suis tout à
fait d’accord. On peut sacrifier des troupes qui vont s’exposer
dans certains créneaux. Je ne dis pas que l’on ne doit
jamais avoir une démarche économique mais que l’on
ne doit pas commencer par là. Notre meilleur exemple c’est
José Paul qui depuis 3 saisons se bat pour des textes qu’il
a trouvés lui-même avec des comédiens qui ne
sont pas des stars et qui fait des cartons. Cela ne veut pas dire
que les directeurs de théâtre n’en soient pas
conscients mais on dirait qu’il n’y a pas d’apprentissage.
En de hors des projets de la compagnie, quels
sont vos actualités et projets personnels ?
Marie Perrin : Je chante depuis deux ans dans un
spectacle qui s’appelle "Piaf l’ombre de la rue"
que l’on reprendra au Sentier des Halles à partir du
15 février 2005.
Bernard Malaka : Philippe et moi allons jouer à
partir de novembre dans un spectacle qui s’appelle "Nathan
le sage" de G.E. Lessing au Théâtre Sylvia Monfort.
Le thème est la rencontre d’un musulman, d’un
chrétien et d’un juif au temps des croisades. Donc
un thème d’actualité.
Stéphane Cottin : Je vais me reposer un
peu en novembre après les représentations de L’œuf
à la Réunion et au Théâtre de Meudon.
Y a-t-il d’autres reprises prévues
pour L’œuf ?
Stéphane Cottin : Il y a des choses…mais
rien de concret pour le moment. Nous jouons ici avec bonheur et
nous avons été merveilleusement accueillis par Patricia
Monceaux, la directrice du théâtre, avec des conditions
qui n’existent nulle part ailleurs en région parisienne.
Et, dernière question avant de vous laisser
vous préparer : allez-vous au théâtre ?
En chœur : Oui !
Philippe Catoire : Nous jouons du mardi au samedi
et j’y vais le dimanche et le lundi. J’ai vu "L’opéra
de quat’sous" au Théâtre National de la
Colline et "Le menteur" à la Comédie Française.
La semaine dernière nous avons vu "Irma" au théâtre
du soleil. Et puis j’irais voir "Le bourgeois gentilhomme"
dont tout le monde parle mis en scène par Benjamin Lazare
qui se jouera les 11 et 12 novembre au Trianon à Paris.
Bernard Malaka : Je suis allé voir "Traits
d’union" de Murielle Magellan.
Philippe Catoire : "Avis aux intéressés"
avec Didier Bezace et Jean Paul Roussillon au Théâtre
de la Commune. C’est au théâtre que nous sommes
le plus heureux.
Stéphane Cottin : "Nora (La maison
de poupée)" d’Ibsen mis en scène par de
Starmayer.
Marie Perrin : magnifique !
Bernard Malaka : Oui nous allons au théâtre
!
Avez-vous le même regardeur qu’un
spectateur ordinaire ?
Stéphane Cottin : Oui quand c’est
réussi. Si on commence à analyser c’est que
quelque chose en s’est pas produit.
Philippe Catoire : On apprend beaucoup à
regarder les autres.
Bernard Malalka : Quand on voit un beau spectacle
on est vraiment heureux. Et ça donne vraiment envie de continuer.
Il est temps de vous laisser pour la représentation
de ce soir.
Stéphane Cottin : Mademoiselle, messieurs
à la mise !
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