La Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent transforme l'espace d'exposition de son bel hôtel particulier Second Empire de l'avenue Marceau en salon de la Belle Epoque pour accueillir une exposition consacrée au peintre Jacques-Emile Blanche.
Organisée avec le concours du Musée d'Orsay, du Musée des Beaux Arts de Rouen et de la Bibliothèque Nationale de France, cette exposition monographique exceptionnelle, aucune ne lui ayant été dévolue depuis son décès en 1942, a été conçue par Jérôme Neutres, conseiller du président de la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais.
A partir d'une sélection de 70 oeuvres, incluant des tableaux mais également des pastels, des dessins et des photographies, ce dernier a souhaité braquer le projecteur sur un petit maître souvent fustigé en son temps, les critiques les moins sévères trouvant sa peinture "aimable", qui fut le portraitiste prolifique de la société mondaine de la Belle Epoque et qu'il qualifie de "Proust de la peinture", d'où l'intitulé "Du côté de chez Jacques-Emile Blanche - Un salon à la Belle Epoque".
Par ailleurs, en résonance avec l'esthétique du peintre qui écrivait à son ami Jean Cocteau "Ce que je prétends à recréer c’est quelque chose comme l’atmosphère, le ton d’une époque", il a opté pour une présentation in situ des oeuvres de manière spectaculaire, au sens non péjoratif du terme, pour créer "une expérience sensuelle, esthétique, et en même temps informative".
Ainsi, la monstration, avec un accrochage à l'anglaise, qui était celui en vigueur au 19ème siècle, intervient dans un salon début de siècle reconstitué par Jacques Grange.
Et la superbe scénographie signée Nathalie Crinière s'accompagne d’un montage sonore original composé par Karol Beffa et d'un habillage olfactif avec la rose en note de tête élaboré par le créateur-parfumeur Francis Kurkdjian, qui provoque une immersion complèteet probante dans un intérieur hors du temps.
Jacques-Emile Blanche et le cercle des poètes disparus
Issu d'une famille de la grande bourgeoisie qui tenait salon, protégé du comte Robert de Montesquiou qui l'introduisit dans les cercles parisiens les plus huppés, considéré de son temps comme un dilettante et un salonnard, il se révèle, par son abondante production picturale, littéraire et épistolaire, un mémorialiste précieux qui se voulait témoin de son époque : "Mes articles, mes études, mes livres ne sont, à la façon de mes portraits peints, que les paragraphes ou les pages d’une petite histoire de mon temps".
Car, rétrospectivement, son oeuvre du portraitiste constitue une éblouissante galerie de toutes les grandes figures qui illuminèrent le monde des arts et lettres quand Paris constituait la capitale culturelle du monde sous l'impulsion d'une avant-garde foisonnante.
Ainsi, le visiteur est accueilli par un aréopage illustre, dont Pierre Louys et Maurice Barrès, qui entourent Marcel Proust jeune, à la beauté pensive, portrait qu'il conserva toujours auprès de lui comme un portrait "à la Dorian Gray", portraits vibrants de jeunes dandys aux mains fines et délicates et à la pose élégante, une rose fraîche à la boutonnière.
Jacques-Emile Blanche, qui a voulu se consacrer au portrait pour "arracher le secret d'un âme" parvient notamment à saisir ce qui semble être la mélancolie de la jeunesse fortunée et oisive.
Dans l'antichambre, les arts majeurs sont représentées avec les portraits de Rodin, Mallarmé, Degas et Debussy qui voisinent avec la Comtesse de Castiglione à peine dissimulée sous une voilette à plumetis.
Un petit salon fait la part belle aux Ballets russes qui révolutionnèrent la danse au début du 20ème siècle avec
le portrait du compositeur Igor Stravinsky et celui du célèbre danseur Nijinsky.
Dans le grand salon, Anna de Noailles, Francis Jammes, Paul Claudel, André Gide, François Mauriac, en buste, semblent saisis sur le vif dans des poses alanguies alors que Jean Cocteau, en pied dans un un costume étriqué, le regard frondeur, semble parader.
Parmi eux, une figure ambigue, intitulée "Le Chérubin de Mozart", qui représente ainsi déguisée une femme énigmatique, Désirée Manfred, qui fut son modèle féminin favori.
Et, puis, la présence discrète de Yves Saint Laurent avec une des robes créées pour un bal de légende, le Bal Proust donné par les Rotschild en 1971 pour le centenaire de la naissance de l'écrivain. |