Comédie dramatique de Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier, avec Annedore Bauer, Lars Eidinger, Jörg Hartmann, Katharina Schüttler, Kay Bartholomäus Schulze et Lore Stefanek.
Un dramaturge norvégien né en 1828, un metteur en scène allemand né en 1968 : Henrik Ibsen et Thomas Ostermeier forment un duo parfait.
Avec "Hedda Gabler", Thomas Ostermeier livre, à nouveau, et en collaboration avec Marius von Mayenburg pour la dramaturgie, un travail exemplaire d'intelligence de compréhension d'une oeuvre, d'actualisation pertinente et de rigueur dans la direction d'acteur. Rien n'est laissé au hasard, tout est tiré au cordeau, net, simple, sans bavure.
Hedda Gabler était une jolie jeune fille qui sachant, comme elle le dit, que son temps était passé, fait une fin, par un mariage de raison avec le "mieux-disant" sur le marché, un homme médiocre et laborieux pressenti pour un poste convoité de professeur, une fin banale et conformiste bien décevante au regard d'aspirations trop grandes pour elle.
A quoi s'ajoute un drame personnel, celui de n'aimer personne et de ne s'intéresser à rien - "C'est le manque d'un but dans la vie qui est son tourment" indique Ibsen - ce qui la conduit à n'exister que dans la destruction de ceux qui l'entourent.
La dimension psychologique du personnage-titre est totalement maîtrisée par Thomas Ostermeier qui ne se contente pas de sa composante victimaire : il en décrypte tous les méandres qui en font une femme vénéneuse et manipulatrice qui, ne parvenant cependant pas à ses fins, est acculée à la mort, avec, en l'espèce, un dénouement tragi-comique singulier qui lui confère le caractère d'épiphénomène.
Sur le plateau plongé dans le noir, émerge le lieu scénique de ce huis clos délétère conçu par Jan Pappelbaum, constitué par une plaque tournante isolée du monde, représentant un salon à l'esthétique postmoderne ouvrant sur une terrasse, surmontée d'un miroir qui permet de voir ce qui se passe hors champ tout comme la large baie composée de panneaux vitrés coulissants matérialise un passionnant travail outdoor-indoor.
A l'extérieur, c'est la vie avec ses fulgurances et ses trivialités, à l'intérieur, c'est le vide froid et implacable d'un intérieur anonyme. Si le mari l'a investi, reprenant ses chères études comme il a enfilé ses chaussons de célibataire, l'épouse y tourne comme une lionne en cage.
La distribution est judicieuse et le jeu des comédiens à la hauteur de l'entreprise avec Annedore Bauer, la femme aimante au service de l'homme et Lore Stefanek, la tante-gâteau, Jörg Hartmann, l'avocat cynique qui propose aussi bien l'adultère tartuffien qu'il pratique le chantage, Bartholomäus Schulze, l'amoureux éconduit et le rival professionnel de l'époux et Lars Eidinger, comédien phare de la Schaubühne am Lehniner Platz dirigée par Thomas Ostermeier et fétiche de ce dernier, est parfait dans le rôle de l'équivoque mari bonne pâte.
Et puis, parfait, le jeu à la ligne claire de Katharina Schüttler qui rend subtilement compte des fêlures Hedda Gabler. |