Spectacle écrit et mis en scène par Christophe Honoré, avec Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz et enjamin Wangermée.
Au début des années 60, les arts se voulaient placés sous le signe de la nouveauté, la nouveauté au sens ambitieux d'avant-garde moderniste conçue comme une opposition radicale impliquant une rupture définitive avec la forme existante.
La Nouvelle Vague pour le cinéma, le Nouveau Réalisme en peinture, et, en littérature, le Nouveau Roman avec quelques écrivains regroupés autour de leur éditeur Jérôme Lindon, fondateur des Editions de Minuit, dont Christophe Honoré a entrepris, à partir d'une écriture de plateau, de retracer leur aventure articulée par la problématique littéraire de la forme avec le rejet de l’illusion réaliste.
Dans un plateau transformé en vaste salle qui tient de l'amphithéâtre d'université et d'hémicycle conçu par Alban Ho Van, qui a poussé le détail jusqu'au sol avec un décor inspiré des motifs des pavements en faïence polychrome du 16ème siècle pour évoquer la rue Bernard Palissy siège de leur éditeur, les élus autoproclamés de l'avant-garde littéraire sont tous là pour papoter, chanter et pontifier.
Si manque à l'appel Samuel Beckett, "l'intouchable" canonisé par Jérôme Lindon solidement campé par Annie Mercier, lunettes noires et converse rouge, les autres sont venus : Claude Simon (Sébastien Pouderoux) qui dit un passage de " son roman sur la seconde guerre mondiale "La Route des Flandres" et chante "'La californie" de Julien Clerc, Claude Mauriac (Julien Honoré), l'austère et sèche Nathalie Sarraute embellie par Ludivine Sagnier et le vaniteux Michel Butor (Brigitte Catillon).
Et puis, Alain Robbe-Grillet (Jean-Charles Clichet en tenue de boyscout), qui voudrait bien siéger à la droite du dieu Beckett et tente désespérément de transformer leur réunion en conclave pour être reconnu comme le pape du nouveau roman.
Bien sûr ils se bisoutent à qui mieux mieux comme les jetsetters d'aujourd'hui et partagent la soupe aux poireaux magnifiée par Marguerite Duras (à qui Anaïs Demoustier redonne sa beauté juvénile) directement de la gamelle au bol comme à la cantine mais ils n'en demeurent pas moins des écrivains bourgeois individualistes dont aucun ne veut se plier à un dogme qu'ils ont d'ailleurs bien du mal à définir.
Comme le dit la fine mouche Catherine Robbe-Grillet (Mélodie Richard dont le jeu révèle subtilement une épouse "soumise" mais éminence grise du couple), le nouveau roman est un panier de crabes.
Leurs réunions montrent que leurs seuls points d'accord consistent à décréter la mort du roman balzacien, allant jusqu'à procéder à l'autodafé des oeuvres des auteurs contemporains qui le pratiquent encore, et d'aspirer à être "les monuments les moins contestables de leur époque", ce qui fait que leur regroupement ressortit davantage de la stratégie promotionnelle que du chorus doctrinaire.
Individualistes et narcissiques, ils sont également mesquins et méprisants quand ils excommunient Claude Ollier pour non respect de l'apolitisme (pétulant Benjamin Wangermée) et stigmatisent l'homosexualité de Robert Pinget (Mathurin Voltz).
Cela étant, le spectateur néophyte en apprendra peu sur ces hommes et femmes comme sur leurs oeuvres puisque Christophe Honoré n'a pas souhaité s'engager sur la voie du biopic et indique que les personnages seront les écrivains mais sans souci de vraisemblance ni d'incarnation. En conséquence, la partition se présente comme une comédie satirique sur l'égo(tisme) de l'écrivain et les querelles de clocher.
Scandé par quelques dispensables vidéos, interviews d'écrivains contemporains qui livrent leurs réflexions, bien pauvres, sur ce mouvement au demeurant sans postérité, intitulé tout simplement "Nouveau Roman", le spectacle, à défaut d'intrigue et de dramaturgie, est (trop) long - trois heures sans entracte et donc sans échappatoire possible pour les milieux de rangs - souvent inutilement bavard, Christophe Honoré aime trop les comédiens, et pâtit des faiblesses intrinsèques à l'écriture de plateau.
A inscrire à son actif, l'intérêt de la démarche, l'investissement des acteurs, qui ont été partie prenante dans son élaboration, et le foisonnement juvénile sur le plateau où s'affrontent remue-ménage et remue-méninges. |