S'il est une artiste qui a accompagné mon adolescence, c'est Barbara. Une époque où je voyageais de Boby Lapointe vers Boris Vian vers Brel et Brassens puis Nougaro, elle est restée sur le podium avec des chansons que je connais encore par cœur, que je reprends à tous les arrêts de bus du passé et du présent des villes de Province où il faut savoir patienter des minutes et tant et plus. Alors : "Il pleut sur Nantes et je me souviens, le ciel de Nantes rend mon cœur chagrin…".
Il y a aussi ce souvenir d'une émission hommage de Macha Béranger quand elle œuvrait en nocturne sur France Inter et que des personnes seules, des jeunes hommes témoignaient la gorge nouée de la beauté lumineuse des chansons de Barbara, de ses visites dans les prisons dans les hôpitaux, de sa solidarité des condamnés (alors, sans espoir) des malades du Sida : "Si s'aimer d'amour, c'est mourir d'aimer, ils sont morts d'amour, sida condamnés…". Barbara, l'amour, la mort, la vie qui s'écoule avec ses heurts, ses plaisirs et ses extases sensuelles : de quoi éduquer les enfants et consoler ceux et celles qui restent encore des enfants, dans leurs rêves et leurs combats. Résolument à côté des faibles qu'elle gracie (les condamnés à mort "Si la photo est bonne"), qu'elle protège (les immigrés "Mes hommes"), face à la société – juge – répressive – assassine.
Barbara, la silhouette sombre qui enroulait vos sentiments en poète. Née en 1930, elle aurait aujourd'hui 82 ans, on imagine aisément quels auraient été ses combats… tellement semblables : le droit d'aimer entre personnes du même sexe, de religions ou de générations (voire de classes sociales) différentes, dans toutes les positions, les mises en scène ; croire en l'enfance, au rachat de ses fautes ; contre les martyres d'enfants dans les conflits armés aussi bien qu'auprès de parents tarés. Un bon nombre à sa suite, en somme. Et bizarrement Barbara n'est pas tellement programmée ou reprise par les artistes à la Radio ou à la Tivi.
Si Daphné a accepté de dédier tout un spectacle puis un album de chansons à Barbara, nous ne pouvons que saluer son heureuse initiative. Elle a la voix claire, quand nous sommes habitués à la voix grave et voilée de Barbara. Les chansons gagnent en légèreté, c'est-à-dire qu'elles perdent un peu en mystère : qu'en est-il de ces messes païennes, de cette lave de feu, de ses colères rentrées et de ces basculements charnels ? Peut-être que l'époque a changé, que les artistes sont davantage des filles – princesses que des femmes-sorcières telle Calypso qui retient Ulysse à sa couche. La sélection de Daphné est sans surprise, les titres les plus connus sont là : "Une petite cantate" (rappelez-vous dans Camille redouble quand Yolande Moreau, Michel Vuillermoz et Noémie Lvovsky la chantent doucement), "Au bois de Saint-Amand", "Si la photo est bonne", "Ma plus belle histoire d'amour" et des duos inattendus : "Dis, quand reviendras-tu ?" avec Benjamin Biolay, "Göttingen" avec Jean-Louis Aubert, "La dame brune" avec Dominique A… bien, bien.
Benjamin Biolay place sa voix un peu au hasard, Jean-Louis Aubert qui avait écrit pour Barbara a pris la voix de Buzy (j'ai mis longtemps à le reconnaître et j'aimais assez l'idée que Buzy participe au disque, pfff… déçue), Dominique A dans la partition de Georges Moustaki… guère piquant. La liberté du disque est peut-être à rechercher dans la production de David Hadjadj dans ses cordes, claviers et sons de jouets.
Daphné a rempli son contrat, mettre en lumière le talent de Barbara et nous espérons que les plus jeunes vont être curieux de découvrir l'artiste originale, ses chansons et toucher ses drames qui sont les leurs : quoi de plus punk que d'écrire : "à mourir pour mourir je choisis l'âge tendre, j'aime mieux m'en aller du temps que je suis belle, qu'on ne me voie jamais faner sous ma dentelle...", "j'ai tout essayé, j'ai fait semblant d'y croire, je reviens fatiguée et j'ai le désespoir".
Allez-y voir de plus près, au-delà des statues de cimetière. Je m'adresse bien sûr à ceux et celles que l'époque a tendance à désoler. |