Saint-Etienne, jeudi 22 novembre, je me fraie un passage parmi le monde pour rejoindre le Club du Fil qui accueille ce soir un groupe de Portland Sallie Ford & the Sound Outside avec en première partie le stéphanois Junior.
Jean brut et chemise à carreaux rouge et blanc, Junior réalise l’exercice périlleux de jouer en solo. Le regard un peu fuyant au départ, sous la lumière bleutée des projecteurs, je sens comme une légère tension palpable et une retenue qui peu à peu s’efface sous la rythmique musicale. A la troisième chanson, une reprise des Undertones "Teenage Kicks", il semble plus à l’aise, puis après "So it goes" il achève cette première partie par un titre où le grain acidulé de la mandoline contraste avec une voix rock sombre et cassée.
La rondeur de la guitare électro-acoustique et les mélodies folk rock sont efficaces, le jeu de rythmique main droite est percutant mais le grain de voix me déconcerte un peu. Le demi-ton manquant serait-il un choix esthétique que je ne saisis pas de ma culture trop classique ? Il me semble malgré tout dommage que les qualités de jeu et les mélodies chaudes et suaves soient assombries par une justesse aléatoire et des aigues trop tendus, qui je le pense, pourraient conduire Junior à quelques déconvenues nodulaires.
Malgré ce point plus noir, la richesse des accords, le jeu maîtrisé et l’univers musical du Stéphanois laisse présager, comme le suggère son pseudonyme, qu’une belle maturation est à venir.
La foule s’avance vers la scène, je me glisse rapidement au centre de la salle afin d’avoir une vue d’ensemble.
Sallie Ford débarque sur les planches, une guitare entre les mains, accompagnée de ses musiciens (guitariste, bassiste et batteur) pour une attaque musicale nette, frontale même. Le son est très fort au point qu’autour de moi beaucoup sortent leurs boules Quiès. L’introduction instrumentale laisse place à la voix électrisante de la chanteuse : "And now I’m gonna sing"… et quelle chanteuse ! Je comprends d’emblée la portée du nom du groupe, car c’est elle qui emplit la scène, et les musiciens sont là, comme déroulant un tapis sonore pour laisser le charisme naturel et la grâce vocale de Sallie s’épanouir. La voix est ronde, elle sonne jazzy et rock à la fois, des graves sensuelles et des aigues bien soutenues, un vrai plaisir auditif !
Mes attentes visuelles ne sont pas déçues également, la tenue est glamour, une robe blanche façon 50’s, la bouche est rouge vermeille, une moue carnassière et pulpeuse dans une attitude "désinvoltement lassive". J’ai le sentiment d’être à mon premier bal de promo, oui, peut-être vais-je voir débarquer mon cher et tendre, un blouson de cuir sur le dos, un peigne à la main et le faire glisser dans ses cheveux gominés… je m’égare un peu je crois…
Les titres s’enchaînent, du premier album, Dirty radio mais également des nouveaux morceaux, et le public est enthousiaste. Devant moi une famille toute entière se déhanche tandis qu’à ma gauche un groupe transgénérationnel joue des genoux. L’ambiance est bon enfant, et la chanteuse agrémente la fin des chansons d’un petit "merci" d’une voix piquante et mutine.
Le titre "I swear" déclenche les ovations du public, "Danger" également et je suis entraînée et happée par ces sonorités rockabilly. Le jeu cinglant de la basse, souvent au fond du temps, sonne d’ailleurs parfois comme une contrebasse et me rappelle alors la formation originelle du genre. Je découvre également des morceaux plus slowly où la voix claire et profonde, dénuée de vibrato tisse une ambiance plus blues que la réverbération amplifie.
Les musiciens sont complices et leur plaisir est contagieux, et si la chanteuse est au centre, les musiciens ont leur place à part entière. Et lorsque Sallie quitte sa guitare c’est pour mieux se déhancher et jouer avec ses acolytes qu’elle présentera au public après un "j’adore la France" certes un peu cliché mais tout de même touchant.
Sallie Ford & the Sound Outside, c’est comme une faille dans l’espace-temps qui vous projette dans les années 50, un mélange de rock, de blues et de folk, un beau moment et une énergie décapante… à voir ou à revoir absolument !
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