Sylvie
Allouche, auteur de livres pour enfants et photographe, expose
pour la première fois à Paris chez Ecart. Avec
Venise, noire de nuit, belle de jour,
elle propose un regard personnel sur la Sérénissime.
Un regard qui est une invitation au voyage.
Invitation pour découvrir une Venise intime mais aussi une
invitation au voyage intérieur, dans les méandres
de notre propre imaginaire à partir d'un reflet coloré
ou d'une petite lumière dans la nuit.
Nous l'avons rencontré sur le lieu même de l'exposition
pour parler de son travail et de ses projets.
Pouvez-nous parler de cette exposition sur Venise
?
Sylvie Allouche : Ce travail est un bonheur. La difficulté a été de porter un regard nouveau et différent sur la ville la plus photographiée
au monde. Qu’est-ce qui va m’attirer moi profondément
? Je me suis vraiment laissée aller dans les
reflets et la nuit noire. J’ai attendu une nuit sans
lune car je voulais vraiment de très beaux noirs pour capter la moindre lumière. C’est une invitation au
rêve. Des personnes m’ont dit penser à du Hitchcock.
Effectivement ces photos en noir et blanc peuvent
se décliner selon l’imaginaire de chacun. Et puis l’écueil
est la photo carte postale.
Sylvie Allouche : Le soir du vernissage une Vénitienne m’a dit : "Lorsque je rentrerai à Venise, je ne verrai plus jamais ma ville de la même façon." C'est un beau compliment.
Vous avez réalisé ce travail en
allant spécialement à Venise ?
Sylvie Allouche : Non. Bien sûr je fais toujours
des photos mais sans avoir à l’esprit de faire une
exposition. nuit Je voulais seulement photographier la nuit vénitienne. Pour les
reflets, j’en fais souvent. Partout où je vais. A Venise c'était une évidence. Mais ce n’était
pas prémédité. d’exposition. Il y avait une telle cohérence entre les photos couleur et noir et blanc, que j’ai proposé ce projet à ECART dont le lieu magnifique se prête parfaitement.
Avez-vous fait de nombreuses photos ?
Sylvie Allouche : Non. En fait, cette pièce
que j’appelle la Venise intime où les noirs sont beaucoup
plus profonds que ceux de l’entrée, ont été
pris en une nuit sur une pellicule.
Vous faites de l’argentique ?
Sylvie Allouche : Oui. Je suis une puriste.
Le numérique pourquoi pas ? Mais ce n’est pas ma façon
de travailler. Ce sont vraiment des photos choisies et chaque prise
de vue a été réfléchie. J’ai été
attirée par ces petites lumières comme un insecte
et par la beauté que cela me renvoyait immédiatement.
Ce travail a duré une nuit.
Ce sont donc des photos réfléchies
mais le fait qu’elles ont été faites dans l’espace
d’une seule nuit fait que cela reste des photos de l’instant.
Sylvie Allouche : Exactement. Car cette nuit-là
était merveilleusement noire. C’était ce soir-là ou jamais.
Faites-vous vous-mêmes les tirages ?
Sylvie Allouche : Non. Les tirages ont été réalisés par le laboratoire Dupon avec qui je travaille
depuis longtemps. Et ils ont fait un travail remarquable aussi bien
sur la couleur que sur les noir et blanc. C’est un vrai métier.
Et par rapport à la photo initiale ?
Sylvie Allouche : C’est très fidèle.
Ma seule exigence concernait les noirs profonds tels que je les
avais vus. Ce qui a été une vraie difficulté
pour les tireurs : d’avoir un noir profond, des gris et un
blanc, les petites lumières étant presque surexposées.
Aucune photo n’est recadrée ni retouchée. On
m’a d’ailleurs posé la question pour la couleur.
Mais ce travail de retouche ne m’intéresse pas. Ou
alors dans le cadre d’un autre travail.
Et s’agissant de la verticale avec l’église
prise en triangle, il n’y a pas de montage ?
Sylvie Allouche : Non. Les trois
plans de la photo donnent une perspective étrange, mais ce n’est
pas un montage. Cela pourrait. Je travaille d’ailleurs sur
un projet de superpositions d’images. Je ne suis pas réfractaire
à ce travail dans son principe.
Avez-vous pris plus de clichés pour les
couleur ?
Sylvie Allouche : Oui. Seulement 2-3 pellicules.
Je ne suis pas une folle du 70 rouleaux. Je prends un tel soin à
chaque prise de vue que, honnêtement, il n’y a pas beaucoup
de rejets. Je prends mon temps. Je ne double pas systématiquement.
Ce qui est d’ailleurs très aléatoire avec les
reflets. Les photos sont souvent prises au bord d’un canal qui
déborde lors du passage d’un vaporetto , il s’agit donc de ne pas "traîner" car la seconde d’après l’eau s’en va et les reflets aussi… Ce côté
éphémère m’a plu bien évidemment.
Je suis retournée à Venise cette année pour y retrouver
des reflets qui bien sûr n’existent plus.
Il s’agit de votre première exposition
de photos ?
Sylvie Allouche : Oui. Je fais des photos depuis
très longtemps mais sans jamais avoir exposé. J’alterne
l’écriture, j’écris beaucoup pour les
enfants, et la photographie. Cela étant ce n’est pas
la première fois que je publie des photos pour des éditeurs.
Une agence est intéressée le regard que je porte sur l’architecture et la statuaire.
Je commence à montrer mon travail, à m'exposer. L’exposition amène
des gens très différents, des professionnels, des
amateurs comme des curieux. Et puis le fait d’exposer chez
Ecart amène un public d’architectes. A cette occasion
j’ai rencontré une architecte qui travaille sur
l’éphémère et la mémoire en peinture, il est possible que
nous réfléchissions ensemble à un projet commun.
Comment est venue cette passion pour la photographie
?
Sylvie Allouche : J’ai toujours eu un appareil
photo. De façon plus ou moins amateur. Je me constitue une
photothèque depuis 2 ans car je travaille dans le monde de
l’édition ce qui me met en relation avec les éditeurs
. Ces derniers qui connaissent mes destinations de voyage me demandent
souvent une photo. Le problème était que mes diapos
n’étaient pas classées. C’est un travail long et un vrai casse-tête… Alors je pense souvent au texte de Pérec Penser, classer.
La photo fait partie de moi. Je ne peux pas
partir quelque part sans mon appareil photo, même si
je ne fais pas de photos, même pour un week-end banal. Cela
fait partie de moi comme mon carnet et mon crayon pour noter des
idées.
Votre travail est plutôt orienté
vers la prise de photos réfléchies que le mitraillage
de scènes ?
Sylvie Allouche : Je ne fais pas d’instantané
de scènes de rue. Il y a peu de personnes sur mes photos.
Je n’y arrive pas. Et puis je vais peut-être dire un
lieu commun mais j’ai l’impression de voler quelqu’un
quand je prends une photo sans avoir averti la personne. Je ne peux
pas. Et puis de plus en plus je m’oriente vers l’abstraction.
Donc j’ai le temps de penser ma photo. Cela étant parfois
je dégaine comme on dit car il peut y avoir un rai de lumière
qui ne durera pas. Je travaille beaucoup avec la lumière.
Vous êtes suffisamment patiente pour attendre
le moment qui vous paraît opportun ?
Sylvie Allouche : Je travaille essentiellement avec la
lumière naturelle, donc la patience est de mise…. . Je n’utilise ni flash, ni projecteur,
ni parapluie. Je ne suis pas technique du tout. Je suis plutôt
instinctive. Bien sûr je maîtrise la technique pour
faire des photos mais c’est tout. Quand je fais des photos
en intérieur je prends un soin particulier au choix de la
pellicule.
La finalité de cette exposition n’est-elle
pas aussi de publier ces photos ?
Sylvie Allouche : Ce serait l’idéal afin de toucher le plus de gens possible, leur montrer le regard différent et très personnel que je pose sur cette ville. Si je vends des clichés ce sera très bien car cela
permettra de rembourser les frais d’exposition qui sont très
élevés. Voilà, montrer mon travail, et
rencontrer des gens qui s’y intéressent. J’aimerai
bien que cette expo tourne un peu car il me semble qu’elle
permet de voir une Venise différente. Je serais bien sûr
ravie que cela puisse faire l’objet d’un livre.
Vous avez déjà publié un
bel ouvrage sur les anges, Paris des anges, qui comportent des photos
et aussi des commentaires et des extraits de textes d’auteurs
connus.
Sylvie Allouche : Cela a été un long travail, plus d’un an de repérage, de prises de vues, de recherche d’angles et toujours de lumière attendue… Les
photos ont été choisies avec Philippe Lebaud, mon éditeur,
car il y en a avait énormément. J’ai arpenté
tous les cimetières parisiens, les rues, sans que cela soit
bien sûr exhaustif. Les textes ont été écrits
par Agnès Guérin et moi. Les extraits ont été
choisis par moi à partir de réminiscences mais ont aussi
fait l'objet d'une vraie recherche. Ce livre a bien marché à
sa sortie. Il y a eu beaucoup de presse. Il s’agit d’un
regard différent sur la statuaire. Le but était de
rendre de chair ces statues de pierre.
Vous êtes plutôt couleur ou noir et
blanc ?
Sylvie Allouche : J’ai commencé par
la couleur et en ce moment je fais beaucoup de noir et blanc mais
c’est selon l’humeur. Ce qui est étrange c’est
que je ne me promène pas avec 2 boîtiers. Cela me perturbe.
Il faut que je sache à l’avance quand je pars le matin
quelle pellicule j’utiliserai. Si je mets une noir et blanc
je pense et je vois presque en noir et blanc. De même pour
la couleur. Je ne peux pas mélanger.
Votre actualité immédiate c’est
cette exposition qui va durer jusqu'à la fin de l’année.
Sylvie Allouche : Oui. Elle a été
prolongée d’un mois par rapport aux dates initiales
pour mon plus grand plaisir et celui d’ Ecart. Après le 31 décembre Venise atteindra des sommmets ! Plus sérieusement, je serai exposée pendant près d’un mois à la bibliothèque de Morzine. J’aimerai aussi
qu’elle voyage un peu dans les galeries parisiennes.
Avez-vous des exigences en termes de lieux d’exposition
? Je pose cette question car à Paris se développent
beaucoup des expositions dans des lieux comme des cafés dont
ce n’est pas la vocation première.
Sylvie Allouche : J’ai d’autres projets
qui peuvent effectivement très bien s’inscrire dans
des bars, des restaurants. Mais celui-là je ne pense pas.
A moins de mettre une grande photo chez un restaurateur italien
par exemple. Il me semble qu’il y a une unité, un voyage
d'où l'adéquation avec le lieu. Cette exposition a vraiment été
pensée en fonction de ce lieu-ci.
Avez-vous d’autres projets de voyage ?
Sylvie Allouche : Mon grand projet est
de porter le même regard sur d’autres grandes villes.
Je fais actuellement la même démarche à Paris.
Je pense à New York, Montréal, Rome qui sont des villes
également très photographiées et faire ce travail
toujours dans les deux directions, celles du reflet et de la nuit.
Je rebondis sur ce que vous avez dit en ce qui
concerne votre évolution vers l’abstraction.
Sylvie Allouche : Oui. Quand on me demande quels
sont les photographes qui m’inspirent, je réponds Turner,
Whistler pour ses nuits étoilées, Rothko, Soulage…
Donc des peintres.
Sylvie Allouche : J’ai effectivement envie
d’aller vers le pictural. Certains ciels de Venise sont des
coups de pinceaux.
Vous avez également parlé de votre
intérêt aux remarques des visiteurs qui se sentaient
entraîner dans des univers imaginaires par le biais de vos
photographies. Cela vous intéresse d’être un
média pour un voyage imaginaire ?
Sylvie Allouche : Ah oui ! J’adore ! Partir
ainsi au travers d’une photo, partir ailleurs. Une femme m’a
fait part d’un voyage en bateau que lui inspirait une des
photos. Une autre m’a acheté une photo parce qu’elle
trouve que c’est la même porte et la même ambiance
que dans sa maison du Quercy. J’adore ça. C’est
peut être mon côté écriture pour enfants
: partir dans le rêve, dans le fantastique, faire rêver.
Il y a deux sortes de photographie : celle qui montre et celle qui
fait rêver. Ici, les photos sont contrecollées et non
encadrées pour permettre justement d’entrer dans la
photo sans la démarcation que crée le cadre ou la
vitre. Pour montrer ce que j’ai vu.
L’exposition Turner, Whistler, Monet au
Grand Palais doit donc être un de vos projets.
Sylvie Allouche : Je vais y courir. ! C’est
une heureuse coïncidence.
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