Caroline Fourest et Fiammetta Venner dirigent la collection "Nos Héroïnes" et se proposent de mettre en lumière les femmes emblématiques qui ont fait l'histoire. Trop souvent ignorées, cantonnées à des rôles subalternes ou accessoires, il est grand temps de montrer qu'elles ont participé elles-aussi aux avancées sociales, qu'elles ont été partie prenante pour faire évoluer la société. Leur rendre hommage, c'est seulement leur rendre justice.
Elles ont contacté Michelle Perrot, la grande spécialiste de l'histoire des ouvriers et de la situation des femmes pour qu'elle participe à constituer cette collection, à partir de ses champs de connaissances.
Michelle Perrot s'est alors attachée à la figure de Lucie Baud, ouvrière dans les manufactures de soies à Vizille et à Voiron dans le Dauphiné. A partir d'un texte de Lucie Baud rédigé en 1908, l'historienne part à sa rencontre. Sans nécessairement présumé un grand succès tellement l'histoire des luttes ouvrières a été gommée, occultée pour ne laisser en héritage que l'histoire des vainqueurs.
Mélancolie ouvrière est ce sentiment qui infuse ce récit : le passé ouvrier est guère visible aujourd'hui, les manufactures n'existent plus, les documents, dans le meilleur des cas, dorment encore dans les archives des départements. L'espoir d'une société qui rendrait la dignité au travail des ouvriers, des ouvrières en les payant au juste prix, de sorte à faire vivre décemment leur famille, l'espoir d'une société où l'union des dominés ébranlerait l'arrogance des dominants… Cet espoir s'est perdu sur la terre natale de Lucie Baud, broyé avec la fermeture des usines ou la délocalisation des outils de travail.
Michelle Perrot témoigne à travers son héroïne, de l'histoire d'un métier : les ouvrières de la soie, des conditions de travail, de l'économie d'une région et de cette tension générée par le Capital, qui n'assoit sa réussite que sur l'exploitation de l'autre. A ceux-ci de prendre conscience de leur force collective… combien de revendications, d'expériences militantes pour combien d'avancées sociales… le compte n'y est pas. L'exploitation des ouvrières de la soie du Dauphiné trouve un écho étrange et déprimant avec celle des employés du textile d'aujourd'hui au Bangladesh. Jusqu'à quand le Capital jouera ce tour de passe-passe.
Prendre conscience de cet héritage, se nourrir de la vigueur des ouvriers et des ouvrières de jadis pour mieux comprendre le monde présent pour légitimer davantage le droit à la dignité du travailleur, de la travailleuse. Rendre leur histoire, la noblesse de leur combat à ses anonymes, sorte de perdants magnifiques. Et plus que tout, porter haut le flambeau qu'ils nous lèguent. Michelle Perrot avec Mélancolie Ouvrière tend le porte-voix à Lucie Baud, qui marche toujours en tête du cortège. |