Drame écrit et mis en scène par Jean-Michel Rabeux d'après "Roméo et Juliette" de William Shakespeare, avec Hubertus Biermann, Sylvain Dieuaide, Vanasay Khamphommala, Nicolas Martel, Marc Mérigot, Vimala Pons et Laure Wolf. Pratiquant, comme il l'indique, au "pillage" d'une des oeuvres emblématiques du théâtre shakespearien, Jean-Michel Rabeux procède à la réécriture, en la scalpant jusqu'à l'os, de l'histoire d'amour tragique de 'Roméo et Juliette".
Dans "R. & J. Tragedy", une tragédie violente, fidèle à l'esprit de la pièce originale, il substitue aux clairs-obscurs de la soie et des ors de la Renaissance italienne dans lesquels sévissent les dagues meurtrières les pleins feux d'une arène dans laquelle les principaux protagonistes se livrent à un combat sans vainqueur malgré le triomphe ultime de l'amour avec majuscule.
Il en résulte un huis clos de haine et d'amour basé sur la dramaturgie des corps, qui prend l'ascendant sur la partition textuelle faite d'une langue mêlant lyrisme et trivialité, des corps furieux et éperdus, tous soumis à des passions tragiques dans une société clanique et patriarcale, une société d'hommes qui se réalisent par l'exercice du pouvoir, un pouvoir qui se manifeste par un droit absolu de vie et de mort.
Jean-Michel Rabeux utilise le podium circulaire - conçu par Pierre-André Weitz pour "Les quatre jumelles" - scène en rond à l'instar du Théâtre du Globe de Shakespeare qui devient arène antique au sol de terre battue gorgée du sang des guerres fratricides dans laquelle les personnages s'affrontent tels des gladiateurs qui connaissent déjà l'issue fatale d'une lutte jamais assouvie dans un monde placé sous la trinité de la haine, la peur et la mort.
S'y déroule un spectacle à la mise en scène radicale et d'une intensité brutale, viscérale, saisissante et stupéfiante, au sens premier du terme, fort éloignée des représentations édulcorées et romantico-lénifiantes de l'amour contrarié et portée par des comédiens totalement investis dans un conséquent travail du corps comme instrument de l'acteur et véhicule des embrasements de l'esprit.
A l'exception de Vanasay Khamphommala, contre ténor qui scande la proposition de chants baroques, tous vêtus à l'identique, Doc Martens et fond de robe couleur chair, le sous-vêtement féminin polyester des années 60, qui évoque le costume fétiche de la chorégraphe Pina Bausch, et le spectacle possède également une belle dimension chorégraphique dans la gestuelle des corps, les comédiens réalisent une époustouflante performance.
Laure Wolf, émouvante en femme-homme/homme/femme Mercutio, augure de la tragédie, Hubertus Biermann, père ambigu qui use tant de brutalité meurtrière que de sincérité quand il pleure celle qu'il a renié et Nicolas Martel, frère incestueux et parangon de la suprématie masculine, portent avec entendement les caractères archétypaux.
Vimala Pons et Sylvain Dieuaide, dans les rôles du couple-titre, sont parfaits. Eloquent, Sylvain Dieuaide campe avec discernement un Roméo emporté dans la tourmente d'une passion qui le dépasse.
Quant à Vimala Pons, sublime de luminosité et de talent, elle donne à Juliette, pour qui l'amour constitue une passion dans un domaine de liberté réservée qui ne connaît, et ne reconnaît, ni obstacle ni loi contraire, une détermination farouche et ostensible qui noue le drame fatal mais fait résolument croire à la puissance de l'amour.
Et pour atténuer le goût de terre et de sang dans la bouche que laisse ce spectacle aussi lunaire que solaire, le génial pince sans rire Marc Mérigot, qui incarne un patelin Frère Laurent, rappelle que ce n'est que du théâtre. |