Comédie de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Nabil El Azan, avec Chantal Deruaz, Christine Guerdon et Christine Murillo.
"Les pâtissières" c'est un bijou, un régal, une friandise crémeuse et acidulée, à l'image de la pièce montée de l'affiche, à déguster sans modération.
En premier lieu, la dernière oeuvre en date de l'auteur dramatique belge Jean-Marie Piemme, à la plume aussi prolixe qu'éclectique, de la variation clownesque de "Dialogue d'un maître avec son chien sur la nécessité de mordre ses amis" au tragique farcesque dans "Le sang des amis", qui signe une comédie pétillante aussi grinçante que pétulante à l'instar, pour rester dans le domaine pâtissier, d'un dessert chaud-froid.
A travers l'évocation de leur vécu commun par trois soeurs pâtissières qui, à l'ombre de la terrasse de leur maison de retraite, abordent la vieillesse avec une volonté farouche d'en découdre encore, cette comédie placée sous le registre de la fantaisie aborde des thématiques sérieuses voire graves tels le temps qui passe, qui érode les rêves et induit des changements radicaux, le poids des traditions et de la famille qui empêchent la réalisation de soi et la mort.
Entre chamailleries sororales parfois houleuses, vitupérations socio-culinaires et égrenage de souvenirs, elles ressassent ce qui fût leur tragédie ultime, celle de la fermeture de l'ancestrale pâtisserie familiale sous les effets conjugués des difficultés économiques résultant notamment de la concurrence de la pâtisserie industrielle, de la disparition progressive du bon goût face à ce que l'auteur qualifie de "goût merdeux", et de la désaffection des gâteaux traditionnels au profit des brouets ethnico-uniformisés, du refus opposé à une demande de prêt salvateur et du harcèlement d'un promoteur immobilier.
Un promoteur qui ne l'a d'ailleurs pas emporté au paradis puisqu'une enquête est ouverte suite à son inexpliquée disparition, ce qui pimente l'opus d'une couleur "Arsenic et vieilles dentelles" qui se conjugue savoureusement avec la connotation tchekovienne des trois soeurs quarante ans après, sauvées, en l'espèce, par leur sens de l'humour, et d'une certaine autodérision, et une vitalité roborative.
Et puis, coup de génie pour le metteur en scène Nabil El Azan non seulement de réunir trois comédiennes, un véritable trio pour bec fin, en pleine possession de leur art mais également d'exercer une direction d'acteur fine mais ferme qui évite tout numéro d'acteur au profit d'une bienvenue choralité tout en parvenant à ménager judicieusement une sphère d'expressivité pour chaque partition.
Dans un décor dépersonnalisé de bois blanc de Sophie Jacob, vêtues par Danièle Rozier de tenues vintage années 50, collier de perles et lunettes paillon, ces vieilles dames indignes au look de pin-up sur le retour sont magistralement campées.
A Mina, la brune devenue grise, l'aînée primesautière et pragmatique prête aux concessions qui porte encore en elle la douleur d'une maternité frustrée, Christine Murillo apporte sa rondeur avenante et son jeu généreux.
Christine Guerdon s'approprie totalement la cadette blonde, la petite dernière, l'enfant gâtée et la préférée de papa, qui rêve encore de réaliser son rêve refoulé de devenir cantatrice.
Entre les deux, Chantal Deruaz incarne avec flamme Flo la rousse, aussi pétroleuse que réactionnaire, parangon de l'intégrisme pâtissier avec "toujours un bâton de dynamite à la main".
Joliment acoquinées, elles apportent à ce spectacle scandé par la délicieuse suite baroque "L'Egyptienne" de Rameau, une jolie variation de jeux, dont le jeu avec le public, et contribuent largement à la confection d'un superbe délice théâtral. |