Comédie dramatique de Christian Morel de Sarcus, mise en scène de Paul-Antoine Veillon, avec Antoinette Guédy, Jean- Dominique Peltier et Tristan Oudar.
Avec un titre qui renvoie à une allégorie biblique, "Jonas", dernier opus dramatique en date de Christian Morel de Sarcus, aborde certes la dialectique mystique du pardon mais également le douloureux conflit intérieur de celui qui, ne se reconnaissant pas une "belle âme", se trouve dans un état clinique exacerbé de "conscience malheureuse" dans son acception hégelienne.
Et il les décline suivant un de ses arguments thématiques récurrents qu'est le trauma du divorce, un divorce qui n'est pas celui du consentement mutuel et "bon enfant" qui conduit au sujet de comédie que sont les familles décomposées et recomposées.
Car trahison humaine et offense à Dieu, le divorce sarcusien à l'impossible résilience est un divorce tragique et guerrier qui constitue le dernier épisode du mariage ressenti comme un enfer conjugal dans lequel le mari est "un souffre-douleur légal" voué à la haine de l'épouse scélérate et à l'opprobre de ses enfants manipulés.
Dans "Jonas", l'homme n'est plus un écrivain mélancolique aux tendances dépressives dépressif que la catharsis littéraire ne peut plus sauver de l'acte meurtrier, le suicide ("La nuit dernière") ou le meurtre du bourreau ("Divorcer tue"), mais un modeste employé plutôt sanguin, boursouflé de haine larvée et de ressentiments acrimonieux, qui, souffrant de surcroît de son origine plébéienne, du manque d'amour paternel comme de l'amour d'une mère-louve dominante, semble prendre une autre voie, celle de la fuite pour tenter, selon une expression aussi courante qu'idiote, de refaire sa vie en voguant vers le Nouveau Monde.
D'autant qu'intervient toujours un hybride personnage d'augure, figure humaine hors du commun et entité supra-naturelle, en l'espèce une vieille femme salvatrice des âmes en déréliction et non faucheuse - Antoinette Guédy fascinante comédienne à la beauté préservée de son âge et à la diction sublime - qui vient se réfugier dans la cabine encore épargnée des flots.
Ici, le gros poisson de Jonas est un célèbre paquebot transatlantique harponné par un iceberg et les canots de sauvetage sont partis quand l'homme, parfaitement campé par Jean-Dominique Peltier, physique terrien et jeu incarné, émerge de son lit et apprend l'accident par le jeune employé, sorte de symétrique du garçon d'étage du "Huis Clos" de Sartre, interprété avec justesse par Tristan Oudar.
Paul-Antoine Veillon, jeune élève comédien de première année au Studio de Formation Théâtrale de Vitry-sur-Seine, signe la mise en scène de cet atypique huis clos et, chance du débutant ou sagacité précoce, l'avenir le dira, réussit pleinement, à travers une ligne claire et le talent des comédiens, à transcrire l'ambiguité induite par le texte.
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