Comédie dramatique de Samuel Beckett, mise en scène de Bernard Levy, avec Gilles Arbona, Thierry Bosc, Garlan Le Martelot, Georges Ser et Patrick Zimmermann.
"Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention. [...] Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible" Samuel Beckett à propos de "En attendant Godot" dans une lettre adressée à Michal Polac en 1952. Si Samuel Beckett s'est toujours refusé à livrer à la postérité une interprétation de sa pièce "En attendant Godot", il n'a pas laissé le lecteur, ni le metteur en scène potentiel dans le vague, agrémentant son œuvre de nombreuses et très précises didascalies, retranscrivant chaque geste et intention de ses personnages avec une minutie qui lui est propre. Tout serait donc là, noir sur blanc, le sens, le mouvement, il n'y aurait qu'à retranscrire religieusement ce qui a jaillit de la plume de l'auteur et regarder avec attention.
Mettre en scène "En attendant Godot" de Samuel Beckett s'initie donc le plus souvent par un dilemme pour le metteur en scène : respecter scrupuleusement la loi dictée par l'auteur, ou se laisser guider par une lecture plus personnelle de l'œuvre.
De cette "contrainte" Bernard Levy a voulu faire un axe de jeu et de réflexion, en se prêtant à l'exercice de la didascalie avec la plus grande précision et en regardant où cela allait le mener. Dès le (beau et surprenant) lever du rideau, le texte est donc mis en exergue, livré au spectateur sans fioriture, sans parasite, tel que vraisemblablement souhaité par l'auteur.
Sur un plateau nu, un arbre, une pierre, un fil tendu indiquant le chemin sur une toile de fond qui joue sur toutes les nuances de gris et de noir, ainsi qu'une lumière crue, font perdre tout repère d'espace et de temps aux spectateurs tout en dramatisant l'espace.
Durant plus de deux heures, hors de toute réalité, Bernard Levy nous embarque dans cette interminable attente de Godot et nous donne par la même une leçon de théâtre, laissant la jubilation apportée par la justesse du texte opérer par elle-même et n'imposant sa propre lecture que par petites touches, avec une référence discrète à l'univers de Charlie Chaplin, sa clownerie triste et sa vision à la fois poétique et percutante du monde.
Gilles Arbona qui interprète Vladimir et Thierry Bosc Estragon sont tout simplement magistraux, à la fois grandioses et pathétiques dans leur rôle d'enfantins vieillards avilis par leur condition d'homme et transcendés par leurs aspirations universelles. Ils occupent à eux-deux et sans faiblir toute la vacuité de l'espace et du temps installée par Bernard Levy et Samuel Beckett.
Patrick Zimmermann donne à Pozzo une profondeur qu'on ne lui retrouve que trop rarement et Georges Ser dans le difficile rôle de Lucky livre une prestation particulièrement marquante du long monologue décousu de l'esclave aux cheveux blancs, particulièrement mis en relief par la mise en scène de Bernard Levy.
Les effets sonores de Marco Bretonnière, associés à l'entrée en scène de Pozzo et Lucky, viennent rappeler l'univers grandiloquent et grotesque du cirque tandis que les interludes musicaux qui ponctuent les actes apportent une touche poétique rafraichissante, tout comme la lumière de Christian Pinaud qui souligne élégamment à la tombée de la nuit l'arbre et le chemin.
Avec "En attendant Godot", Bernard Levy et son équipe offrent un excellent moment de théâtre, d'une grande qualité artistique et technique, tout en rendant le plus bel hommage qu'on puisse faire à un auteur : laisser le texte parler de lui-même. |