Comédies dramatiques de Georg Büchner, mise en scène de Ludovic Lagarde, avec Julien Allouf, Juan Cocho, Simon Delétang, Servane Ducorps, Constance Larrieu, Déborah Marique, Camille Panonacle, Laurent Poitrenaux, Samuel Réhault et Julien Storini.
De l'influence des bulles de l'or des vignes sur le discernement théâtral. L'implantation de la Comédie de Reims au sein des chais champenois serait-elle à l'origine de la pétillance dramaturgique de ses directeurs ?
Sont programmés conjointement à Paris en janvier 2013 un spectacle dirigé par, Emmanuel Demarcy-Mota, son ancien directeur qui préside aujourd'hui à la destinée du Théâtre de la Ville, "Ionesco Suite" superbe création collective autour de l'oeuvre de Ionesco, et une création de son directeur actuel, Ludovic Lagarde, qui met en scène une époustouflante "Intégrale Büchner".
Certes, cette intégrale présentée de surcoît comme une trilogie ne fera sans doute pas l'unanimité des exégètes du dramaturge allemand mais, pour les autres tout autant passionné de théâtre, elle constituera une enthousiasmante proposition aux partis-pris forts, cohérents et parfaitement assumés.
Certes, cette intégrale esthétisante, présentée de surcroît comme une trilogie autour de la thématique de l’échec et de "l’engrenage entre pouvoir et désir", ne fera sans doute pas l'unanimité des quelques exégètes du dramaturge allemand né au début du 19ème siècle, disparu prématurément à l'âge de 23 ans et considéré comme un des précurseurs du théâtre moderne, mais, pour les autres, tout autant passionnés de théâtre et capables de discernement, qui ne l’ont pas lu dans le texte, elle constituera une enthousiasmante proposition aux partis pris forts, cohérents et parfaitement maîtrisés.
En effet, Ludovic Lagarde ne procède pas à une dévote présentation de reliques embaumées du panthéon théâtral mais à une régénération créative et novatrice des les trois opus "sous influence" de Büchner : "Woyzeck", mélodrame naturaliste exaltant la tragédie du prolétaire soumis au déterminisme de la violence de classe et de la violence de sa nature, "La mort de Danton", drame historique aux accents hugoliens mettant en scène, sur fond de luttes intestines de la fine fleur de la Révolution Française, révolte populaire mais révolution bourgeoise, partagée entre l'idéalisme politique et l'épicurisme amoureux et, hybridant l'argument marivaudien au spleen romantique, "Léonce et Léna", une histoire de prince et de princesse rattrapés par leur destin politique.
Tout en conservant l'ancrage historique, il élague, épure, resserre l'action en focale, recentre sur les personnages essentiels, joue de l'illusion théâtrale qu'il mâtine de distanciation renforcée par les effets de distorsion et la réverbération imprimés au texte dits par les comédiens appareillés d'équipement hf et procède ainsi à un lissage stylistique qui imprime une même couleur, celle du blanc laiteux et fantomatique, qui préside également à la scénographie de Antoine Vasseur et domine dans les élégants costumes arachnéens confectionnés par Fanny Brouste.
Les lumières de Sébastien Michaud sculptent et colorisent l'espace scénique soumis à une déformation cathodique, étiré en largeur tel le format cinémascope qui contribue à renforcer par l'image le rythme cinétique auquel il soumet le jeu des acteurs.
Un espace à la fois unique avec le décor très élégant et stylisé reconstituant une pièce de réception haussmannienne et parfois dédoublé avec un écran de tulle qui délimite un arrière-plan dans laquelle se déroule une action parallèle et donne un effet de superposition de plans qui accentue la déréalisation induite par la mise en scène.
Au spectateur attentif de repérer, en filigrane, le code couleur qui sert de fil magique entre le crime passionnel du pauvre, le huis clos hiératique et charnel de Danton qui donne souvent l'impression d'un tableau vivant où le drame se parfume d'effluves d'alcôve et la satire fantaisiste de la surprise de l'amour doublée de celle plus ironique de la comédie du pouvoir. Jeu clair et homogène pour tous les comédiens qui tiennent la performance, trois partitions, quatre heures de spectacle, et participent pleinement à sa réussite.
Mention spéciale pour les "enfants du Siècle", Déborah Marique en princesse lénifiante, Samuel Réhault en prince artiste bad boy et Julien Storini en valet pragmatique et très spéciale pour Servane Ducorps et Laurent Poitrenaux, magistral Danton, qui passent de la victime expiatoire à la caricature politique. |