Comédie dramatique de Emmanuel Bourdieu, mise en scène de Denis Podalydès, avec Simon Bakhouche, Gabriel Dufay et Clara Noël.
On connaît Emmanuel Bourdieu pour ses scénarios pour Arnaud Desplechin, pour ses propres réalisations, parmi lesquels on n’a pas oublié "Les Amitiés maléfiques" et un moyen métrage avec Denis Podalydès, "Candidature".
Bourdieu est fasciné par le monde consanguin des grandes écoles, aime parler des profs et particulièrement de ceux qui enseignent la philosophie. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait eu envie d’inventer un philosophe, le professeur Winch, et de conter ses aventures dans "L’homme qui se hait".
Prototype du philosophe "germanique", Winch a quelque chose de Ludwig Wittgenstein. Il aime le paradoxe : animant "l’université philosophique ambulante", rassemblant de grandes audiences dans des tournées de conférence, il les interpelle d’emblée pour demander qu’on ne l’aime pas. Affublé de deux assistants qui sont ses groupies, on le voit peu à peu sombrer dans la folie.
Christian Lacroix a habillé les trois personnages dans des tenues intemporelles qui les assimilent pourtant à certains héros de Kafka. C’est cette référence qu’on retrouve dans le décor - conçu par Éric Ruf et Delphine Sainte-Marie - de chaises et de meubles étranges, aux tubulures modulables, qui peuvent devenir des estrades, des lits, des chariots,.
La mise en scène de l’auteur et de Denis Podalydès pousse l’ensemble vers cette étrangeté kafkaïenne, cherche à faire surgir une atmosphère presque fantastique dans laquelle l’humour s’exerce contre la grandiloquence grotesque du professeur à la frontière du rire sinistre et de la folie furieuse.
On retiendra la performance de Gabriel Dufay, qui utilise toute sa longue carcasse pour rendre la singularité du professeur Winch. On aurait sans doute pu le laisser aller plus loin, quelque part aux confins des personnages de Thomas Bernhard. Mais l’écriture de Bourdieu n’est pas coutumière de la radicalité de l’auteur autrichien.
Ici, tout est plus en nuances, rien n’est imposé. Le spectateur est convié à se faire sa propre opinion du personnage, l’acteur étant là pour l’y guider. En contrepartie, cela fait perdre à "L’homme qui se hait" une certaine force et dilue parfois son intérêt.
Reste que Gabriel Dufay et ses deux compagnons, Simon Bakhouche et Clara Noël, défendent avec conviction un texte qui n’a pas épuisé ses mystères et diffuse un certain charme théâtral. |