Tristes Printemps : voilà un titre bien morose, Madame Anne Hogenhuis… Les printemps arabes ? Homme autodafé déclencheur d’un soulèvement populaire révolutionnaire tunisien ? Que nenni ! Une révolution, oui, Russe ! De l’histoire alors ? Oui, encore, pour ne pas oublier, pour comprendre et garder le souvenir des souffrances.
A chaque fois que je me plonge dans un ouvrage retraçant une période difficile de l’Histoire, je m’interroge sur le véritable objectif de ces écrits. Celui-ci est un travail de deuil sur une famille : les Seliverstoff.
Mais commençons par le début. A la mort de son père, Anne Hogenhuis reçoit en héritage quelques monnaies (j’espère) et une grosse caisse poussiéreuse contenant les archives familiales, des lettres de grand-mamie Cécile et de ses descendants de 1917 à nos jours, un manuscrit d’une certaine Mila entraperçue sur des photos jaunies, des documents… une précieuse mine d’informations sur sa famille. Elle décide de tout lire et de compiler la totalité dans ce livre Tristes Printemps.
Le roman n’en est donc pas vraiment un, la majorité du livre est une suite de lettres mises bout à bout. La lecture est parfois fastidieuse, les propos étant redondants. Et puis au fil des pages, nous entrons dans l’univers de cette URSS post-révolution bolchevique, avec l’envie d’en savoir plus, de réveiller ces vielles leçons de Madame Gefat, ma prof d’histoire.
Avant 1917, empire russe archaïque, majoritairement rural, gouverné par Nicolas II, tsar de son état, marié à une allemande (complotant dans son coin avec un certain Raspoutine). Et puis la première guerre mondiale, les morts, le froid, la faim, l’immobilisme du tsar et les idées de Marx (semées depuis un bail dans les esprits mécontents), les grèves et la pression aboutissent à l’abdication de Nicolas II (et la disparition d’Anastasia… snif). Mais ce n’est pas encore gagné, après une période floue (qui gouverne maintenant ?), un certain Lénine arrive. Fan de Karl Marx, il fonde le parti bolchevik, crée l’Union Soviétique, invente une super police qui traque et goulag-ise tous les suspects (celui-là aussi tiens, il n'est pas net)… Une bonne grosse dictature à parti unique, quoi… Pote avec Trotsky et ennemi de Staline (qui lui succèdera pour faire guère mieux que lui)…
C’est dans ce contexte que vit Cécile, française mariée à un Russe, avec ses enfants qui partiront un à un pour le front, le goulag, l’étranger… Ses lettres constituent la première partie du roman. Une façon de planter le décor de la Russie de cette époque, de comprendre les privations, les petites joies, la solidarité et les angoisses. Une deuxième partie retranscrit le récit pudique de Mila, internée dans des camps de travail (les goulags) avec son frère, elle seule en reviendra avec ces silences propres aux morts-vivants. La fin du roman résume les destins des descendants, parfois les éloignements, parfois les retrouvailles.
Le meilleur de cet ouvrage est de retranscrire minutieusement les conditions de vie du commun des mortels de la Russie Bolchevique, où le pire n’est probablement pas la souffrance, la répression, l’éloignement et l’incertitude de l’avenir, mais l’indifférence honteuse des autres pays, centrés sur eux-mêmes, se relevant d’une première guerre mondiale, sombrant dans une seconde, effarées de découvrir les camps de travail et d’extermination, des horreurs face à l’horreur…
"Faute d’un autel con sacré aux dieux lares, que pouvais-je pour eux ? Sinon rendre un hommage à leur mémoire, ouvrir la porte, les livrer à l’air du temps. Peut-être pour les consoler ? Et moi, avec eux, réconciliée." |