Premier volume d'un quadriptyque autobiographique, "Comment j'ai vu 1900" de Pauline de Pange invite le lecteur à remonter le temps pour voir le tout début du deuxième millénaire à travers les yeux d'une fillette de 12 ans.
Mais ce n'est pas tant le regard d'une enfant posé sur son siècle que les souvenirs d'enfance d'une petite fille qui vit en dehors des réalités du monde pour être née avec une cuillère d'argent, en l'occurrence de platine, dans la bouche et dans une famille appartenant à la caste privilégiée de l'aristocratie fortunée.
Car, comtesse de Pange par son mariage, Laure Marie Pauline appartient à la célèbre dynastie aristocratique des de Broglie qui vit dans un univers d'oisiveté dorée et qui se consacre uniquement à la perpétuation de l'acquis qui outre, le nom et les armes, consistait essentiellement en respect d'un protocole et d'un code de la bienséance du 18ème siècle.
La vie semble heureuse au coeur du vaste hôtel parisien qui comporte un personnel ancillaire logé sur place tellement pléthorique qu'il formait "le peuple des domestiques" auquel s'ajoutaient de nombreux "auxiliaires" qui s'acquittaient de la moindre tâche matérielle ou prosaïque, de l'horloger remonteur de pendules à la jeune fille qui venait terminer les ouvrages de dame ébauchés par sa mère.
Mais ses occupants ne se croisent qu'à l'heure des repas et la petite fille est sous la garde de sa nurse, sort rarement et ne bénéficie que d'une instruction rudimentaire. Un mode de vie presque frustre sous ses allures grand siècle contrairement à celle de la grande bourgeoisie libérale instruite et cultivée de l'époque.
Car cette aristocratie est quasiment inculte, xénophoble (les étrangers "ils répandent en France le mauvais goût d'une civilisation de Palace-Hôtel") ce qui explique sans doute également qu'on ne voyage pas chez les détenteurs de particule, sauf pour les séjours de chasse en Angleterre "qui faisaient alors partie du culte de l'élégance", pratique une hygiène rudimentaire ("Personne ne prenait de bain mais se lavait dans des tubs avec cinq centimètres d'eau ou bien on s'épongeait en de grandes cuvettes" car "la salle de bains semblait un luxe de grand hôtel, inutile et même blâmable chez les particuliers") et méprise l'art dit "moderne" ("Tous ces jeunes peintres sont affreusement communs. Ils ne peignent que des choses vulgaires, ils sont tous déséquilibrés").
Pauline perçoit très vite son état d'oiseau en cage dorée et ce qui la plonge dans la honte est de constater qu'elle est moins instruite qu'une élève plébéienne du cours primaire nonobstant la sentence de sa mère qui disait : "Elle en saura toujours assez, moi je ne sais pas faire une addition".
Cela étant elle relate avec un certain humour les moments qui firent date dans sa vie d'enfant et qui laisseront sans doute pantois le lecteur d'aujourd'hui.
Et ce depuis sa septième année quand on lui annonça solennellement qu'elle quittait la petite salle à manger réservée aux enfants pour déjeuner désormais à la grande table avec ses parents, avec la villégiature dieppoise annuelle de juin à novembre - car il était impossible de se montrer à Paris après la fête des fleurs et le Grand Prix - avec un voyage préparé comme une expédition polaire qui prenait des allures de véritable déménagement et la première séance de cinématographe, jusqu'à la mort du grand-père patriarche en 1901, la veille de celle de la Reine Victoria "ce qui lui fit du tort dans la presse", impliquant pour son père devenu chef de famille, chef du nom et des armes, de reprendre le domaine normand et de quitter Paris.
De quoi avoir hâte de lire la suite ! |