Comédie dramatique de Israel Horovitz, mise en scène de Tony Le Guern, avec Bruno Guillot, Capucine Jaworski et Tony Le Guern.
Homme taciturne et violent, Robert Bailey, dit "Bobby le bélier", trime depuis son enfance dans le petit atelier paternel de conditionnement de ballots de papier destinés au recyclage.
Il y emploie depuis peu un de ses copains d'école George Ferguson, dit "Georgie la crevette", un cossard grande gueule et petit quotient intellectuel. et tous deux maugréent sur leur sort de victimes sociétales.
Mais ce jour-là n'est pas comme les autres puisque Bobby a rendez-vous avec Betty Palumbo, une native, qui, après de nombreuses années, revient au pays pour les derniers jours de son frère.
Des années qui ont scellé la différence. Les deux hommes sont restés englués dans la boue de l'Amérique profonde alors que Betty, une fille de leur classe surnommée "la petite souris grise", a réalisé le rêve américain : université, réussite professionnelle, mariage, maternité.
Construite comme un huis-clos à suspense, "Le baiser de la veuve", pièce au titre métaphorique qui évoque d'une espèce dangereuse d'araignée, s'inscrit dans le registre du théâtre réaliste américain et, notamment, dans la filiation des dramaturges Eugène O'Neill et Arthur Miller, dans laquelle Israël Horovitz procède au syncrétisme réussi du réalisme social, du théâtre psychologique et de la tragédie classique.
Car "Le baiser de la veuve" ressortit de la tragédie tant par la situation, le dénouement d'un drame du passé, comme par ses thèmes que sont la culpabilité, de la vengeance, de la rédemption et du pardon et sa construction.
La proposition de la Compagnie Ozage est exceptionnelle en ce qu'elle atteste non seulement d'un travail totalement abouti sur les caractères et la complexité dramaturgique de la partition mais, sous la direction de Tony Le Guern, d'une interprétation totalement maîtrisée qui rend compte avec justesse de personnages qui, comme la pâte humaine, ne sont pas monolithiques.
Avec un jeu clair et sensible, Capucine Jaworski incarne parfaitement "la veuve" qui se confronte à la résurgence d'un passé douloureux qui a sans doute anéanti la meilleure part d'elle-même et lui a laissé l'âme et le corps à vif, la fragmentation du temps induit par la rétrospection et l'ambivalence des sentiments qui en découlent face à l'humain.
Pour le duo de frères ennemis, Tony Le Guern et Bruno Guillot se distinguent par leur appréhension toute en nuances de leur personnage, évitant ainsi la typologie réductrice, et l'interprétation très fine des relations entre les deux hommes qui font état d'un rapport de force qui n'est pas tel qu'il paraît établi et qui va s'inverser pour révéler la nature profonde de chacun.
Dans le rôle de Georgie la crevette, Tony Le Guern, qui sévit avec autant d'acuité au jeu qu'à la mise en scène, représente avec exactitude le mental pervers, malin, sournois et manipulateur d'un galvaudeux qui serait l'antithèse du Lennie de "Des souris et des hommes" de John Steinbeck.
Bruno Guillot réalise une prestation tout aussi excellente pour restituer les démons intérieurs et le délitement mental du personnage de la force de la nature qu'est Bobby pétri d'humanité mais qui, à l'instar de son surnom, fonce sans réfléchir quitte à se fracasser. |