Sous le titre "Pas de saison pour l'enfer", 13E Note Editions proposent une version française enrichie de courts récits de l'écrivain américain de Kent Anderson qui ont été publiés sous le titre original de "Liquor, Guns & Ammo".
Qu'il traite de ses errances étasuniennes de retour à la "vie" civile, de sa période militaire ou de son expérience dans la police - dont il a porté témoignage dans "Sympathy for the Devil" et "Chiens de la nuit" parce que, écrit-il, il a les mots pour l'écrire - tout est vu à travers le prisme d'une guerre finie sur le papier mais pas dans les chairs ("Cette guerre fera toujours partie de moi, comme la mort, toujours là, qui regarde par dessus mon épaule et murmure des choses à l'oreille").
Né en 1945, Kent Anderson fait partie de ceux surnommés les "vétérans du Vietnam" et le portrait photographique en couverture malgré l'arme au poing et peintures de guerre n'évoque pas un Rambo hollywoodien mais un jeune homme qui est déjà mort et qui est passé derrière le miroir ("Toute peur l'a quitté. Sans passé ni avenir, déjà mort et jamais né, il évolue dans un espace dénué d'amour comme de peur").
Car la guerre tue immédiatement l'homme avant même la mort physique ("Après deux mois de service, j'avais fait une croix sur l'idée de rentrer un jour à la maison, où que ça puisse être. Plus rien à foutre ! J'étais déjà mort").
Avec une écriture brute sans pathos ni lyrisme, il livre des pages aussi terrifiantes que bouleversantes qui ne constituent pas une litanie de la déploration d'autant qu'il indique qu'il aurait pu connaître un sort plus terrible encore.
Sergent dans les Forces Spéciales, il intervenait, contrairement aux soldats de l'armée régulière et aux Marines en permanence en première ligne, en opération balisée et ce la moitié du temps, il est revenu au pays et il a pu trouver du travail dans la police qui a constitué un exutoire ("Ca m'a permis de me sevrer en douceur de la violence accumulée en moi").
Bien évidemment, seul l'alcool ("Même bourrés, on pouvait largement donner le change à vingt soldats ordinaires, et dans cet univers d'ironie macabre, arbitraire et hostile, on était immortels") et l'absorption massive de drogues ("... speed dans la journée, de l'alcool le soir pour dormir un peu et de la codéine le matin, pour la gueule de bois et les maux de tête..." et de la morphine en dosette injectable) largement distribuées par l'armée au même titre que des rations alimentaires pouvaient transcender la peur, l'angoisse et l'épuisement des jeunes recrues et les transformer en tueurs "parce que c'était la seule façon de rester en vie".
Et même si Kent Anderson ne nourrit aucune illusion sur ses compatriotes ("Les américains, pour la plupart, s'appliquent à ne jamais sortir du monde enchanté de la télé, avec ses amours éternels, sa violence de dessin animé et ses happy ends"), il est néanmoins affecté par leur manque de respect après la guerre envers les soldats du Vietnam que personne ne voulait engager "parce qu'aux yeux de tous, ils étaient drogués et dangereux".
De même quant à leur manque de soutien pendant le conflit, même parfois au sein de leur famille, quand à leurs lettres est répondu : "On ne veut plus entendre un seul mot de toute cette merde" ou "Ne nous envoie plus des trucs pareils. Ca fait trop de peine à ta mère".
Par ailleurs, quelques récits anecdotiques font frémir tels la convention des mercenaires sponsorisée par le magazine Soldier of fortune fondé par un homologue de Kent Anderson, les réunions des fous furieux qui militent au sein des Christian Patriots ou le rallye annuel des bikers.
Et pourtant, il croit encore en l'homme.
Pourquoi Kent Anderson qui indique que pour lui "l'écriture n'a jamais constitué ni une résilience ni une catharsis", écrit-il ? D'abord "parce que les gens chez moi me mettaient en rogne avec leur parti-pris et leurs opinion pro-guerre et anti-guerre". Ensuite par obsession : "J'y étais de nouveau et je devais de me ramener des histoires. J'étais redevable à quelqu'un ou à quelque chose". |