A l'affiche de la Gaîté lyrique, l'exposition "ARRRGH ! Monstres de Mode" draine particulièrement deux catégories
de visiteurs juvéniles : l'une, évidente et logique, des étudiants des écoles de mode et de design, l'autre, inattendue et anachronique, des enfants de maternelles et des élèves des classes primaires.
Car en présentant de manière isolée des modèles de créateurs qui peuvent s'inscrire dans une démarche de mode plasticienne ou conceptuelle révélée par la collection dont ils sont déconnectés, elle s'attache uniquement à la déclinaison de la figure du monstre dans le domaine de la mode dite d'avant-garde.
En effet, initiée par le Collectif Atopos fondé en 2003, qui se consacre à l'analyse et à la promotion des projets contemporains innovants dédiés à la culture visuelle, et déjà présentée en 2011 au Benaki Museum d'Athènes, elle s'inscrit dans le prolongement d'une publication qu'il a édité, "Not a toy, Fashioning Radical Characters", consacré à la réinvention monstrueuse du corps par les systèmes vestimentaires.
Dans une scénographie white cube et néons froids et grotte-darkroom en carton-pâte de Stamos Fafalios, les commissaires de l'exposition Vassilis Zidianakis, et Angelos Tsourapas, présentent ainsi une sélection éclectique de créations émanant aussi bien d'artistes de la mode à la notoriété établie que de talents émergents.
L'exposition commence dans le vestibule avec une sculpture-installation spécialement dédiée de Paul Graves, un corps disloqué la tête dans la poubelle qui intègre des chaussures signées du défunt Alexander McQuenn, des stilettos pour pieds bots, qui donne le ton.
Le character design et la pop culture au coeur des monstres de mode
Peu de recherche formelle dans les modèles exposés mais une transposition spectaculaire au vêtement d'une iconographie existante et véhiculée par le character design dans le domaine ludique des jeux vidéo, de la bande dessinée et du film d'animation, qui lui-même puise dans la pop culture avec une nette tendance à la nostalgie du monde de l'enfance voire à la régression infantile.
Ainsi, sont sources d'inspiration les mythes, légendes (le gothique Madmaxien de Rick Owens, l'univers cauchemardesque de Mareunrol's) et les contes de fées avec la métamorphose animale (la femme-lapin de Kim Traeger, l'homme-cygne de Mads Dinesen, la femme ourse de Erika Mizuno).
Le dessin animé a également ses adeptes (les Monsters tricotés de
Tracy Widdess, les manguettes de Hideki Seo).
Deux autres registres sont également bien représentés : la science fiction (les cocons de Digitaria, l'homme-robot d'Alex Mattsson, l'extraterrestre d'Alexis Themistocleous,
le mutant de Bart Hess) et l'heroic fantasy (les vêtements costumes de
Takashi Nishyama,
Josfin Arnell, Dr NOKI's NHS).
Pour l'héritage hippie-pop, ce sont la tendance ethnique (avec l'ethno-pop de Leutton Postle, la récup chic branchée de Andrea Crews
et la mythologie ethnique de Pierre-Antoine Bettorello) et le psychédélisme pop de Walter Van Beirendonck.
La constante, depuis les précurseurs Issey Miyake et Martin Margiela jusqu'au tricophile "coiffeur et perruquier haute coiffure" Charlie Le Mindu,
tient
d'une part, au plan formel, à la remise en cause des normes esthétiques, notamment de la définition du beau et du laid.
D'autre part, sur le fond, le vêtement devient un costume permettant
tant le travestissement, le jeu de rôle et la singularisation que la mise en scène
de soi et donc des comportements révélateurs des peurs, angoisses et interrogations de l'époque tenant à l'identité.
Enfin, et surtout, le dénominateur commun de tous ces créateurs, stylistes et couturiers, qui travaillent souvent en transversalité avec d'autres disciplines telles la sculpture, l'installation plasticienne, le design ou la performance, réside dans la représentation du corps humain.
Le visage est systématiquement occulté, occultation légitimée au départ comme moyen d'éviter le "mannequinat incarné" et et de concentrer l'attention sur le vêtement, ce qui ne manque pas d'ironie à une époque où est fustigée le port du voile islamique.
Le corps subit le même sort de dissimulation dans des combinaisons ou des burquas contemporaines (les draps de fantômes de Berhnard Willhelm, la burqua imprimée de Fulep Motwary, la roibe gonflable de Manon Kindig).
Mais il est également l'objet de maintes vélléités de manipulation d'hybridation et de déformations conduisant à un corps mutant (la femme-alien de Hideki Seo, le freak de Alexis Themistocleous, la femme Bonnie Magnum de Pierre-Antoine Vettorello, les protubérances de Henrik Vibskov,l'homme-arbre de Craig Green).
Arrrgh ! L'onomatopée est judicieuse. |