Réalisé par Viviane Candas. France. Drame. 1h30. (Sortie 17 avril 2013). Avec Sonia Amori, Stéphane Nahal, Rebecca Loi, Sakina Ben-Nasr et Robert Cantarella.
En 2004, Viviane Candas faisait paraître un roman, "Le Voile brûlé", racontant un drame de l’intolérance en banlieue. Elle le porte aujourd’hui à l’écran dans un premier film austère et grave qui cherche à scruter les cœurs de ceux que la banlieue pousse à la désespérance, entraîne sur des chemins qu’ils n’auraient jamais dû emprunter.
Ici, on assiste apparemment à l’affrontement d’une jeune Française d’origine musulmane moderne avec son frère guère plus vieux qu’elle mais plus perméable à la rigueur de la tradition. Viviane Candas a choisi de passer par un manichéisme qui envahit nombre de ses plans et qui la guide vers quelques mauvaises idées primaires, comme celle de mettre des moustaches hitlériennes aux islamistes de la cité marseillaise qu’elle décrit pourtant avec minutie et beaucoup d’empathie.
Car elle sait cadrer serré un cadre de vie carré, fermé sur lui-même, dans lequel le plan fixe est souvent rempli de silence et parfois de quelques cris ou de quelques murmures.
Si on réussit à passer outre à la logique binaire bons contre méchants, ce qui intéresse dans "Le Voile brûlé" c’est l’abandon, la solitude de deux êtres sans famille qui devraient s’unir contre leur ennemi, c’est-à-dire ces clapiers à lapin munis d’antennes paraboliques, et qui ne trouvent rien de mieux que de se construire un mur d’incompréhension.
Elle fait du théâtre, et comme nombre de "beurettes" belles et douées, pourrait s’en sortir en suivant une voie "occidentale" ; il chasse les rats de la cité, au propre quand ils ont quatre pattes, au figuré quand ils dealent de la drogue, et lui, ne trouvera jamais de travail, car c’est lui le "mâle arabe" dont la société française ne veut pas en en faisant le vecteur de la religion honnie.
Alors, il se retourne contre sa sœur, voit dans ce prof de théâtre quadragénaire auquel elle n’est pas insensible la preuve qu’elle va l’abandonner. Alors, il surjoue, à son insu, le frère protecteur qui laisse pousser sa barbichette, qui devient le gardien farouche d’un ordre antique où la déviance est punie de mort.
Viviane réussit parfaitement sa tragédie : alors qu’elle joue Iphigénie et Shéhérazade, qu’elle répète des textes où elle devrait puiser les arguments pour convaincre son frère de ne pas jouer les Agammenon ou les Haroun Al Rachid, son héroïne n’en tire aucune leçon pour sa propre vie et, tout au contraire, préfère transiger avec ce frère qu’elle aime, sans comprendre qu’elle ne fait ainsi qu’augmenter sa fureur.
Dana la foulée, on s’interrogera : à quoi sert le théâtre en banlieue, s’il n’apprend pas aux filles comme elle à découvrir la ruse et la manœuvre dont elles devront perpétuellement user dans leurs existences pour "s’en sortir" ?
C’est donc logiquement que Viviane Candas choisit la victoire de la haine sur l’amour. Et on lui en veut, car il y a de très belles choses dans son film, à commencer par une capacité unique à se mouvoir en banlieue comme sur son terrain, de monter ce territoire comme une zone de vie et non pas, selon la formule policière, comme une "zone de non-droit".
On n’oubliera pas ce qu’elle a filmé, le charisme des deux protagonistes, Sonia Amori et Stéphane Nahal, et on lui conseillera d’aller voir ou revoir "La Prisonnière du désert. Dans ce film de John Ford, John Wayne, aussi haineux qu’un "islamiste qui a une sœur rêvant de monter sur les planches", retrouve sa nièce devenue "indienne". On le sait extrêmement raciste et l’on craint qu’il ne la tue… Mais non ! Il la porte dans ses bras…
On aurait aimé que Viviane Candas passe par cette leçon humaniste, naïvement humaniste. Préférer la réalité horrible du fait-divers n’est pas faire preuve d’humanité, mais accepter la logique de ceux qui n’en ont peut-être pas. Si elle ne triomphe pas dans la vie qu’au moins la vie triomphe au cinéma ! |