C'est certain, vos amis hipsters n'aimeront pas ce disque. Déjà, le groupe. Têtes raides. Non mais quoi. Tête Raides. Et puis le projet : mettre en disque, et aussi en scène, des poèmes. Desnos, Rimbaud, Lautréamont... Quand c'est Murat, quant c'est Ferré – là, oui. Mais ceux-là n'ont pas l'outrecuidance d'être trop gais, trop populaires. Et Ferré a le bon goût d'être mort.
En plus, ils récidivent : on avait déjà eu droit à des mises en musique de Desnos ("La religieuse") et de l'inadaptable testament littéraire de Stig Dagerman : notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Et aussi des textes de Soupault, de-ci de-là. Bref, c'est déjà vu, déjà fait, so 20ème siècle, tout ça.
Snobisme musical pour snobisme musical, vous commencez à apprendre à vos amis que l'on ne dit pas "les Têtes Raides" mais "Têtes Raides", tout court (contrairement à "le Pink Floyd", auquel tout bon snobinard musical conservera le déterminant, pour bien marquer qu'il connaît l'origine du nom du groupe).
Ensuite, vous leur ferez remarquer que le DVD qui complète le CD a été filmé dans un théâtre. Un vrai théâtre. Aux bouffes du Nord. Et que le petit livret (114 pages !) qui les accompagne reproduit les textes, présente les auteurs, offre des illustrations des Chats Pelés, des photographies de Richard Dumas... C'est arty, non ?
Enfin, vous leur direz, tout simplement, que c'est vachement bien. Sans déconner. On sent dans la voix de Christian Olivier et dans les accompagnements, discrets ou non, que lui fournit sa bande de musiciens déglingués (sur des tréteaux qui, tôt ou tard, vont s'effondrer), un véritable amour des mots, de la langue, des jeux que l'on peut faire avec tout ça.
Le choix des textes est également particulièrement savoureux. Des petites formes ludiques de Soupault à l'écrasant "Condamné à mort" de Genet, en passant par le terrible "Dieu le chien" d'Artaud et le très swinguant "Neige" de Tsetaïeva, le groupe parcourt un répertoire vaste et varié. Et il parvient, ce n'est pas peu, à faire véritablement entendre les textes qu'il s'approprie – véritablement, oui. Parce que l'on ne débite pas de la poésie, de la littérature, comme une antienne syndicale un soir de premier mai. Quoique. Il faut dire, mais il faut encore faire entendre. Et réussir à faire entendre la sincérité derrière le terriblement éculé "Love me tender", c'était loin d'être un pari gagné.
À ce jeu-là, Christian Olivier tire une épingle merveilleuse du jeu. Sans affectation. Sans rances effets théâtraux outranciers. Sans exagération. Avec juste le courage de sa voix, honnête, rauque, flinguée de gitane. Souvenez-vous : on ne lave pas la poésie ; un poète ça pue des pieds. On y est. |