La première de couverture avec le titre "Au nom de la Loi" et en bandeau le portrait de Steve McQueen semblent annoncer la couleur : un roman en forme de biographie de l'acteur américain héros chasseur de prime à l'époque du FarWest d'une série télévisée éponyme de la fin des années 50
devenue culte et qui a lancé sa carrière.
Sauf que le mot loi s'orne d'une majuscule qui évoque davantage les Tables de la Loi, un des symboles du judaïsme, et donc la Loi hébraïque ce que confirme l'introduction de quatrième de couverture, annonçant un roman procédant d'une hybridation entre la destinée de la star hollywoodienne et celle d'une famille juive.
Sur ce point donc pas d'équivoque car telle est la trame du roman de Samuel Blumenfeld. En revanche, il n'en va pas de même avec la note de l'éditeur faisant miroiter un roman "d'une drôlerie égale à celle des premiers Philip Roth".
En effet, rien dans cet opus ne saurait être assimilé au style provocateur et à l'humour corrosif de l'écrivain américain Philip Roth, chef de file de l'école juive newyorkaise, le seul point commun entre les deux auteurs étant leur judéité. Cette référence incongrue induit donc une attente littéraire qui sera inévitablement déçue.
D'autant que l'auteur, par ailleurs journaliste et spécialiste du cinéma américain, a composé un livre mosaïque dans lequel sont insérées de nombreuses digressions tant cinéphiliques que socio-politiques sur les grands événements qui ont secoué Israël dans les années 60-70, l'histoire des juifs de France et la pègre juive traficotant dans le quartier parisien du Sentier, qui parasitent par leur ampleur l'intrigue principale.
En effet, la trame psycho-romanesque d'une biographie croisée avec la filmographie d'un acteur s'avère suffisante pour nourrir un classique roman d'apprentissage placé sous le signe de la quête obsessionnelle de l'identité juive et décliné de manière atypique sur le thème de l'iconification.
Le narrateur, David Blumenfeld est l'unique rejeton d'Isaac et Hannah Bergelson, couple modeste de Juifs polonais religieux sans être orthodoxes vivant d'un HLM de banlieue, dont il constate très vite la nature étrange car "uni par un amour partagé du vide et des utopies délirantes, mentales chez ma mère, matérielles pour Isaac Bergelson".
Car chacun vit dans son imaginaire. Le père,
boxer raté, distributeur exclusif de pyjamas en coton d'Egypte, les meilleurs sur la place de Paris puis, après un passage par la case prison pour fraude fiscale, "monsieur briques de fourneaux", nourrit le rêve de devenir un nabab et de faire de sa famille la famille juive polonaise la plus riche du monde. Aussi est-il obsédé par la quête de la pierre philosophale qui passe par des projets aussi farfelus que naïfs tels que l'extraction de l'aluminium contenu dans les emballages de plaquette de beurre ou la poursuite du diamant vénézuélien à partir d'une carte digne d'une chasse au trésor de patronage.
Pour la mère, c'est la quête du Graal hébraïque, en l'occurrence celle de la Menorah, le chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, qui donne lieu à des recherches livresques d'une ampleur pharaonique.
Tous deux, pour des raisons différentes, sans toutefois céder à l'idolâtrie interdite par la religion juive, adulent l'acteur Steve McQueen. Ce qui n'est pas sans conséquence pour la construction psychique d'un enfant qui doit s'ancrer dans la réalité.
Pour David Blumenfeld, Steve McQueen devient non seulement un frère de substitution mais un "astre flamboyant qui tenait sa fonction de repère à chaque seconde de son (mon) existence" qui, selon son analyse, lui permet, en appliquant à sa vie ce que l'acteur vit à l'écran et traverse dans sa propre vie, de conjuguer la fiction et la réalité dans une sorte de "schizophrénie bénie".
Et, surtout, de se structurer par rapport au complexe d'Oedipe avec un double de la figure paternelle, ce qui nourrit quelques belles pages. |