Un critique littéraire avait très bien résumé ce qui arrivait aux personnages des nouvelles de Raymond Carver : "des terreurs extraordinaires dans des vies ordinaires". Carver avait en effet un talent incroyable pour décrire avec économie et justesse le couple qui se délite, le constat amer des vies sacrifiées de la classe moyenne américaine pour quelques miettes du Rêve Américain.
Tout laissait à penser que Wayne Coyne, le charismatique chanteur des Flaming Lips, était à l'abri de ce genre de mésaventure, lorsque lors de la dernière tournée du groupe, il arpentait la foule dans sa bulle en plastique pendant que des lapins géants évoluaient sur scène. Seulement voilà, Coyne s'est fait rattraper par ces fameuses terreurs décrites dans les nouvelles de Carver : la rechute d'un des piliers du groupes, Steven Drozd, dans la drogue et une séparation. Du coup, l'ambiance de ce treizième album des Flaming Lips est carrément plombée. La fête est finie, ou du moins, la descente d'acide est rude. Si "Do you realize ?" a été choisie comme chanson officielle de l'Etat d'Oklahoma, ce nouvel album devrait être le nouvel hymne officiel de Pripriat, cette ville voisine de la centrale nucléaire de Tchernobyl. D'ailleurs, ce disque aurait pu être la bande son des liquidateurs qui allaient déblayer les blocs de graphite sur le toit de la centrale éventrée...
Défiant la norme des albums contemporains construits autour de deux ou trois morceaux que l'on peut écouter sans se soucier du reste de l'album, les neufs morceaux de The Terror s'avalent d'une traite comme un antibiotique au goût amer. Il faut donc accepter pendant près d'une heure, de se laisser aller au gré de cet album cabossé, peuplé de bribes de guitares dissonantes, de rythmiques pulsatiles et asthmatiques comme chez Martin Rev ou Alan Vega. On avait laissé les Lips dans le faste et la luxuriance, The Terror laisse place à la désintégration (de la structure classique de la chanson), à l'atomisation (la voix de Wayne Coyne semble décharnée, noyée en écho sous les couches d’expérimentations proches de Brian Eno ou de groupes plus récents comme Boards Of Canada).
Les fans récents du groupe, ceux qui l'aiment pour ses hymnes fédérateurs vont sûrement s'y perdre, voire crier au suicide commercial, un peu comme quand les fans de Creep de Radiohead se sont retrouvés tout couillon à l'écoute de Kid A. Pour les plus opiniâtres, la terreur des uns fera le bonheur des autres... |