Nous vous parlions il y a quelques temps de Spectres, premier EP d’Hello Kurt. Un disque où se croisent aussi bien Kraftwerk qu’une certaine idée d’une poésie hypnotique, le Krautrock que le contrepoint rigoureux. Entretien avec Xavier Thiry…
Quel est le retour sur ton EP depuis sa sortie ?
Xavier Thiry : Plutôt bon ! Je dois le faire connaître moi-même, donc les auditeurs/fans arrivent un peu au compte-goutte, mais il y a des gens qui sont réellement accrochés par la musique. Ça m'encourage. Sans maison de disque, c'est plus laborieux, mais c'est aussi plus instructif. Et de toute façon, je suis là pour durer ! Le disque peut avoir son auditoire qui grandira au fil du temps. Comme tout se passe en numérique pour l'instant, je ne suis pas tributaire des bacs d'un disquaire où il faudrait les vendre le plus vite possible. C'est sûr que si je faisais des concerts, ça serait un gros atout pour trouver mon public, mais je n'ai pas encore trouvé la formule, en tous cas je n'ai pas envie de faire des lives au laptop.
D’où vient le nom Hello Kurt ?
Xavier Thiry : Le nom, je l'ai choisi quand il m'a fallu un nom pour publier un remix pour Mondkopf (pour le titre Ave Maria). Je crois que ça s'adresse assez simplement à Kurt Cobain, genre "mec tu sais je pense souvent à toi". Derrière, il y a quelque chose comme l'idée de communiquer avec l'invisible à travers la musique, puisque sa grande force c'est de flotter dans l'air et d'être abstraite.
Ton EP a été pensé et composé en contrepoint rigoureux. Peux-tu expliquer ce que c'est exactement ? D'où te vient cette envie / idée ? Y a-t-il un rapport avec ton parcours de musicien ?
Xavier Thiry : Le contrepoint rigoureux est une discipline qui est enseignée dans les conservatoires. Le but est de soigner son écriture mélodique, et les exercices consistent donc à écrire des lignes mélodiques qui s'harmonisent bien entre elles et qui en même temps "chantent" séparément. Comme si chaque instrumentiste devait avoir plaisir à jouer sa ligne. C'est une vision horizontale des choses, contrairement au monde des accords et de l'harmonie, où on raisonne de façon verticale. Les deux ne s'opposent pas, d'ailleurs, et c'est tout le génie de Bach que d'arriver à construire de vraies structures harmoniques émouvantes portées par la pureté des lignes contrapuntiques.
Le contrepoint peut être une fin, comme dans les anciennes polyphonies, mais surtout il est un moyen utile en mille circonstances. Savoir gérer la conduite des voix permet de réduire le nombre de pistes, tout en garantissant que chaque piste "chante". A la fin, l'orchestration et le mixage s'en trouvent simplifiés. On gagne en clarté et en quantité de travail ! A condition de bosser en amont, bien sûr.
Venant de la pop, j'étais un peu fatigué du système très vertical piano/guitare où on tend parfois à tartiner de gros accords, et on perd en agilité. Je commençais à me trouver lourdingue comme pianiste, alors quand j'ai découvert l'existence du contrepoint rigoureux, j'ai commencé à l'étudier, en autodidacte. L'harmonie, couplée à la mélodie, est certes une garantie d'émotion, et c'est difficile de s'en affranchir dans le contexte occidental, mais tout de même, plus on allège, plus on gagne en vivacité... Et en universalité, je crois. Et, comme outil, très concrètement, écrire une basse solidement en contrepoint du chant, ça fait déjà 80% du morceau. Brian Wilson, McCartney savent ces choses-là. Et c'est déjà cette idée qui était à l’œuvre durant la période baroque.
Tout le EP ne repose pas sur le contrepoint : c'est "PanEuropean" qui a été le premier morceau où j'ai essayé d'expérimenter dans ce sens. Après, à force d'exercices, j'ai intégré progressivement des réflexes, et c'est devenu moins conscient.
Quelles sont tes influences ?
Xavier Thiry : Sur "Spectres", j'avais envie d'avoir une couleur d'Europe continentale. A un moment, je me suis rendu compte que les morceaux ne devaient pas grand chose à la culture pop/rock anglo-américaine. Par contre, je revendique des maîtres synthétiques, comme Kraftwerk, en premier lieu. "Sélénite" s'appuie un peu sur Neu! et Kraftwerk. De ce côté-ci du Rhin, Daft Punk, dont la radicalité de Homework me souffle toujours. François de Roubaix compte, pour son goût des orchestrations atypiques, et son sens mélodique unique. Morricone, aussi, bien sûr, l'intégration entre pop et baroque, l'expressivité. Enfin, plus à l'est, je citerais Arvo Pärt qui me touche énormément, et puis les russes, qui m'intéressent de plus en plus aussi : le duo Tarkovski/Artemiev, et plus loin dans le temps, je fais un blocage croissant sur Chostakovitch. Et par dessus tout, Bach.
Cette histoire d'Europe m'est venue en écoutant ABBA un jour. Je les trouve tellement brillants, et il m'est venu à l'esprit qu'ils doivent peut-être plus à l'opéra italien ou au cabaret allemand qu'aux codes pop anglo-américains. C'est bien peut-être de se relocaliser un peu, l'éventail d'influences est infini, avec internet, on a accès à trop de choses, un petit tri géographique arbitraire (?), c'est bien utile.
Hello Kurt pourrait-il être le chaînon manquant entre les Beach Boys et Perotin
Xavier Thiry : Typiquement, j'adore les Beach Boys mais je refuse l'héritage ! Chez Perotin, de ce que j'en connais, on peut être frappé par la modernité qui se dégage. Il y a quelque chose de Panda Bear là-dedans, non ? (Cf Pérotin, Viderunt Omnes. Organum Quadruplum. Performed by the Hilliard Ensemble)
Le futur ?
Xavier Thiry : On est en train de finir l'album de La Féline avec Agnès. Il est magnifique, on a quelque chose de très fort je crois. On doit consacrer du temps à ce qu'il soit dans les meilleures mains possibles. Après, progressivement je retrouverai du temps pour avancer mes morceaux. J'ai quelques chantiers, quelques idées... Surtout des expériences, des explorations qui m’excitent. Je n'arrive pas à établir une note d'intention encore ! Je ne sais pas si j'y arriverai jamais. |