Comédie dramatique écrite et mise en scène par Jean-Luc Jeener, avec Muriel Adam, Martine Delor, Benoit Dugas, Patricia Gleville, Remy Oppert, Jean Dominique Peltier et Pierre Sourdive.
Outreau. Un nom de sinistre mémoire, celui d'une ville du Boulonnais, qui a été le cadre en 2001 d'une retentissante affaire d'abus sexuel sur mineur.
Cette affaire a défrayé la chronique, outre son sujet sensible, par sa sur-médiatisation et surtout parce qu'elle intervenait dans un climat de tension psychotique généré par une affaire similaire en Belgique, l'affaire Dutroux, qui secouait l'opinion publique depuis 1996.
Au terme de deux procès marqués par l’insuffisance des charges, les rétractations des accusateurs et les lacunes des expertises, elle se soldera par des condamnations mais également par des acquittements révélateurs de graves erreurs judiciaires qui ont suscité le missionnement d'une commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement.
"Outreau", la partition dramatique de Jean-Luc Jeener, même si elle est sous-titrée "autopsie d'un fait divers", ne constitue pas une reconstitution théâtralisée des événements.
D'une part, parce qu'elle se concentre sur trois moments considérés comme significatifs par l'auteur au regard des thématiques qu'il a entendu développer, et d'autre part, parce ne sont pas abordés de manière générique les dysfonctionnements de l'institution judiciaire, la responsabilité sociétale et les phénomènes sociaux mais toujours à travers l'humain, l'homme dans ce qu'il a simultanément d'unique et d'archétypal.
D'une construction imparable, elle est articulée sur trois moments chronologiques - l'audition de la mère après le témoignage de la fratrie victime d'inceste tant paternel que maternel et d'abus sexuels de tiers, l'audition des accusés et l'après-verdict - qui se déroulent dans le même lieu, celui du l'homme-clé de la procédure pénale, le juge d'instruction.
Les deux premiers actes, qui se déroulent de crescendo, mettent en évidence le processus d'engrenage "vicieux" généré par la sacralisation de la parole de l'enfant victime et la stratégie "à l'américaine" qui promet l'atténuation de la sanction en contrepartie des aveux et de la dénonciation des coupables dans lequel vont s'engouffrer les principaux protagonistes pour des raisons différentes.
Une spirale infernale aggravée par la personnalité psychorigide du juge d'instruction (Benoît Dugas excellent), un croisé moderne qui s'est lancé au nom de la Justice avec majuscule dans une bataille pour le triomphe et le règne de la vérité et a perdu de vue sa mission d'instruire à charge et à décharge, qui va déraper en passant des agressions sexuelles intrafamiliales quasiment ataviques à l'exploitation de la misère humaine et sociale par des notables lubriques puis à l'échelle du réseau pédophile.
Et ils préparent le troisième acte, implacable, au cours duquel Jean-Luc Jeener développe, à travers le discours du prêtre injustement inculpé comme bouc-émissaire de la figue du prêtre pédipohile (Pierre Sourdive sublime porteur de la parole chrétienne) ses thématiques récurrentes que sont le péché originel, la culpabilité, la rédemption par la reconnaissance de l'horreur de la faute commise, l'amour du prochain, le pardon et la miséricorde qui incombe également à la société.
Dans une mise en scène de huis-clos étouffant par la charge émotionnelle du sujet traité qui impacte sur l’affectivité liée à l’intime de la sexualité et à la transgression des tabous et l'identification à la victime, Jean-Luc Jeener dirige des comédiens avec qui il a l'habitude de travailler et qui sont donc totalement en phase avec sa conception du théâtre d'incarnation.
Tous sont remarquables : Patricia Gleville, la greffière bouleversée par l'ignominie des faits, Jean Dominique Peltier, le policier circonspect qui toutefois se contente d'exécuter les ordres, Rémy Oppert, l'huissier dont la morgue à l'encontre des petites gens sera retenu à sa charge et Martine Delor, la voisine à la limite de la débilité mentale.
Mention spéciale à Muriel Adam saisissante dans le rôle de la mère esprit simple mais roué qui, tel l'animal traqué réagit par pulsion vitale, comprend très vite comment elle peut tirer partie de l'obstination du juge en invoquant pour se disculper la misère, le manque d'instruction, l'indigence intellectuelle qui floute la frontière entre le bien et le mal, la contrainte du mari violent et surtout la bestialité généralisée. |