Comédie dramatique de Gao Xingjian, mise en scène de Andréa Brusque, avec Arben Bajraktaraj, Hélène Chevallier et Simon Fraud.
Dans le noir, les voix étouffées d’un couple en fuite venu s’abriter des tirs qui font rage au dehors nous parviennent dans l’obscurité d’une salle, sans doute un vieux théâtre dont seuls des interstices laissent échapper de minces filets de lumière.
Un troisième fuyard venu fumer et échapper aux soldats qui mettent la ville à feu vient s’échouer à son tour dans ce bric à brac de décors et de matériel technique. Alors que les tanks et les mitrailleuses assiègent la place, tous les trois vont tromper leur peur et leur ennui par des jeux, l’évocation de souvenirs et des rêves partagés avant la fin.
Là, le temps s’écoule au rythme de leurs sursauts et de leurs changements d’état dans les ténèbres de ce bazar juste éclairé par moments par des néons capricieux ou de petites ampoules tombées en pluie (remarquable création lumière de Victor Veyron) sur le fil de leur nuit. Et du dehors arrive une clameur lointaine qui entre par bribes, comme pour leur rappeler l’urgence de leur situation, dans ce décor hors du temps.
Andréa Brusque, pour cette mise en scène du texte du Prix Nobel de littérature chinois Gao Xingjian (très bien traduit par Julien Gelas) a fait des choix radicaux de mise en scène et c’est tant mieux.
En donnant à cette histoire qu’on pourrait situer près de la place Tian’anmen bien-sûr mais aussi dans tout pays en guerre, une authenticité et une force brute, elle emporte une fois de plus l’adhésion.
La metteure en scène de "Cordoba" ou "Une envie de tuer sur le bout de la langue" qui nous avait réjouit la saison dernière, marque une nouvelle fois sa création du sceau de l’excellence avec un travail très physique et une exigence quant à l’investissement des acteurs.
Elle dirige ses trois interprètes avec une précision chirurgicale pour tirer d’eux le meilleur et règle un ballet incertain entre ces trois naufragés en perte de repères, ces trois individualités qui sentent le souffle de la mort sur leurs échines et réagissent de différentes façons. Les corps se frôlent, les personnages s’entrechoquent en confrontant leurs univers et le résultat est saisissant.
Hélène Chevallier, Arben Bajraktaraj et Simon Fraud sont tous les trois ahurissants de force, de sensualité, de justesse et d’émotion et font de "La fuite" un spectacle dense et éblouissant. |