Plus d'un demi-siècle après le "Junky" de William S. Burroughs, la thèse de l'Amérique mère de tous les vices et matrice prolifique de générations de camés, que ce soit dans les milieux défavorisés des laissés pour compte du rêve américain comme dans les banlieues résidentielles farcies de rejetons désoeuvrés entre névroses et ennui, est toujours d'actualité.
Pour Jerry Stahl, point de doute :
les Etats-Unis devenus les "Etats-Unis de la Misère et de la Douleur" devraient être rebaptisés "Amphétamérique" et c'est quasiment au berceau que se naissent les addictions.
Quand les marmots lèchent les restes de poudre laissés par des parents défoncés ou un peu plus tard sur ordonnance, 32% des écoliers et des lycéens étant sous Aderall ("Des apprentis speedomanes, comme c'est mignon ! Plus un rond pour leur instruction mais des tonnes pour qu'ils restent éveillés et débiles !").
Plus que ses mémoires de junkie, au demeurant parues en France en 2010 chez le même éditeur 13E Note sous le titre "Mémoires des ténèbres" portés à l'écran sous le titre "Permanent Midnight", "Speed Fiction" est une suite un peu foutraque de récits et réflexions qui stigmatise l'Amérique.
D'une part, de manière frontale par une critique sans appel de l'atmosphère de fin du monde qui y règne ("si tant est que l'Apocalypse puisse se résumer au passage en boucle de publicités agressives et d'extraits de téléréalité en 3D pour te faire croire que c'est ça la vie") et, d'autre part, de façon indirecte par une description radicale des effets des nouvelles drogues de synthèse, dont la fameuse "meth", la méthamphétamine connue sous le nom de "crystal", qui peut se concocter de manière artisanale dans une baignoire ou le coffre d'une voiture et qui relègue les bons vieux stupéfiants au rang d'aspirine.
Ainsi : "Si sniffer de la cocaïne faisait l'effet d'une gelée brûlante, sniffer de la meth revenait à pratiquer une lobotomie sur soi-même, à dos de cheval, avec pour seuls outils une râpe à fromage et un fer à souder, le tout directement par les narines. En pleine nuit".
Engageant ? Et bien oui pour ceux qui ont besoin de réconfort et auxquels la drogue apporte un état de mort cérébrale ("Si tu t'injectais la bonne dose, d'un coup, un calme olympien s'abattait sur le monde et tu étais comblé rien que d'être assis là, un filet de bave à la commissure des lèvres, aussi zen qu'un mioche hyperactif après sa première sucette à la Ritaline").
Un autre effet de la méthamphétamine, et non des moindres, qui était mis en exergue dans le titre original de l'opus ("Bad Sex on Speed"), tient à son pouvoir de stimulation sexuelle ("la meth est une trique chimique") qui, selon Jerry Stahl, a fait de l'Amérique "la nation de l'onanisme chronique".
Mon Dieu, est-ce ainsi que va le monde ? Jerry Stahl taille dans le vif et ne vise ni à la prévention ni à la rédemption. "Je me shoote donc je suis" ? |