Entre la sortie de son
premier album, Ever Everest, et
une belle actualité scénique (notamment en première
partie de Francis Cabrel), Fabien Martin fait
une petite pause avant son concert au Zèbre de Belleville
du 15 décembre 2004.
Bluffés par son concert à l'Européen en octobre
2004, nous avions envie d'en savoir plus sur celui qui chante les
histoires qu'il a dans la tête.
Vous dites : "Je fais de la chanson pour
faire plaisir à ma mère" ou"Je chante pour
passer le temps". Pourquoi faites-vous de la musique et des
chansons ?
Fabien Martin : Je varie les réponses. Ce
sont autant de pirouettes. Passer le temps, oui. J’ai toujours
eu très peur de l’ennui. Je me demande d’ailleurs
ce que font les gens qui ne font pas de musique. Je fais de la musique,
j’écris des chansons pour remplir mon temps et me remplir
moi. Pourquoi je fais des chansons ? Finalement, on ne me pose pas
si souvent que cela cette question. Il y a plusieurs raisons pour
moi de faire des chansons. La première est que dans la vie
je n’arrive pas forcément à bien m’exprimer.
La chanson est un bon moyen de dire des choses et d’être
entendu sans être interrompu. L’enregistrement d’un
disque est aussi un dialogue avec soi-même. Je n’ai
pas forcément plus de choses à dire que les autres
mais j’ai envie de les dire.
Votre bio indique que vous avez eu 10 ans de galère.
Dans la chanson ?
Fabien Martin : Ce n’était pas de
la galère. Je ne sais pas si j’ai vraiment utilisé
ce mot là. C’est plutôt un chemin naturel qui
permet de se construire. J’ai eu plutôt tendance à
prendre les escaliers que les ascenseurs mais cela m’a permis
d’affronter des épreuves et d’acquérir
une certaine maturité. Je pense que chacun a 10 ans de période
d’ombre. Elle peut survenir quand on a 20-30 ans mais aussi
après. Le manque de maturité fait que lorsqu’on
émerge rapidement à 25 ans l’ombre survient
après. Pendant ces 10 ans, j’ai fait plein de choses,
vendu des disques, donné des cours de piano, ce qui me laissait
du temps pour écrire et jouer.
Quelles sont les circonstances qui ont fait que
2004 est une bonne année pour vous ?
Fabien Martin : Je n’ai pas eu l’impression
que cela soit arrivé aussi soudainement en 2004. Tout s’est
passé naturellement. La conjonction d’événements
est la rencontre avec la maison de disques et l’équipe
qui s’est construite avec des gens qui croyaient en moi. Cela
a fait que je suis un peu plus dans la lumière. Mais je travaille
aussi avec mon guitariste Philippe Desbois depuis 8 ans et nous
avons écumé ensemble plein de petites salles, fait
des maquettes. C’est une des personnes qui m’a vraiment
aidé à émerger .
Comment la maison de disques vous a-t-elle repéré
?
Fabien Martin : A la même période,
il y a un an et demi, une maquette plus aboutie a circulé
dans les maisons de disques notamment chez ULM et ils étaient
venus me voir en concert au même moment.
Pour votre premier album, vous avez réussi
à lui donner une couleur musicale, une dominante et simultanément
plein de nuances. Comment s’est fait le choix des morceaux
de cet album pour parvenir à ce dosage assez subtil et réussi
?
Fabien Martin : C’est exactement une question
de dosage. Je navigue toujours entre la peur du manque de cohérence
et la crainte de l’uniformité. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle le terme variété ne me dérange
pas dans le sens où il signifie musique variée. Seulement
la variété d’aujourd’hui est très
standardisée. En tant qu’auditeur j’admire les
gens qui tout en ayant leur univers propre ne nous font pas entendre
la même chanson de la plage 1 à la plage 12. Et en
même temps j’ai besoin de cohérence. La cohérence
vient de la voix, du son, des mêmes musiciens. Les textes
sont un peu épars car ils ont été écrit
à des périodes différentes. Le prochain album
sera peut-être un peu plus homogène, je ne sais pas
encore.
La maison de disques vous a laissé toute
liberté pour composer cet album ?
Fabien Martin : Oui, j’ai eu carte blanche.
Je vais schématiser en disant qu’ils ne sont venus
écouter le résultat qu’à la fin. Ce qui
va à l’encontre de l’image des majors qui imposent
des choix artistiques à l’artiste. Ils m’ont
fait confiance et j’espère avoir honoré cette
confiance.
Avez-vous participé à la production
de l’album ?
Fabien Martin : J’ai effectivement participé
complètement à la production par le choix des musiciens,
des instruments, des arrangements. Comme j’ai un petit studio
chez moi, j’ai passé des nuits à faire des montages
et des choix. L’ingénieur du son s’est occupé
de la texture du son d’un point de vue technique. Je ne suis
pas allé en studio juste pour la prise de voix.
La question symétrique : Comment choisissez-vous
les arrangements pour le live ?
Fabien Martin : Sur l’album, il y beaucoup
d’instruments, comme les cuivres, la batterie, que je ne peux
pas actuellement avoir sur scène. La formation guitare-accordéon-contrebasse
préexistait à l’album et je l’ai conservé.
C’est une formule assez légère à transporter
en concert. Et puis une batterie, dans des petites salles cela casse
un peu le côté intimiste. Les chansons revivent d’une
autre façon.
Vous avez parlé à plusieurs reprises
des musiciens. Parlez nous en un peu et quels sont vos rapports
avec eux.
Fabien Martin : Sur scène, c’est une
équipe avec laquelle je suis très lié, même
si nous ne sommes pas un groupe au sens propre. Par exemple, Philippe
travaille avec moi depuis longtemps et connaît toutes les
versions des chansons. Actuellement, il accompagne aussi Clarika.
Tout le monde apporte beaucoup de sa personnalité quand on
joue ensemble. Et donc cela se ressent sur scène. Et dans
ce métier, on peut choisir les musiciens avec qui on travaille,
et je ne vais pas me priver de ce luxe.
Vous avez évoqué le second album.
Y pensez-vous ou y travaillez-vous déjà ou est-ce
encore prématuré ? Par ailleurs, Ever Everest, qui
est une réussite, ne constitue-t-il pas une dead line ce
qui fait qu’on vous attend au tournant ?
Fabien Martin : Je suis le premier à m’attendre
au tournant. Et je n’ai pas besoin des autres pour cela, car
je suis assez dur avec moi. J’espère pouvoir éviter
tous les pièges du premier, et ainsi de suite. J’y
pense bien évidemment et j’ai des chansons en stock
car il y aussi des chansons qui ne figurent pas dans le premier
album mais que je ne perds pas de vue. Les semaines calmes, sans
concert ni promo, j’écris. Je me suis mis à
la guitare. J’ai hâte de le faire même si je sais
que je ne le ferais que dans un an. Mais je ne tiens pas à
laisser passer 4 ans entre chaque disque.
Il n’y a pas de directives particulières
de votre maison de disque quant à cette échéance
?
Fabien Martin : Non.
En 2005, partirez-vous en tournée avec
cet album ?
Fabien Martin : Nous ferons des festivals et d’autres
dates à partir de mars 2005 et jusqu’à la fin
de l’année prochaine. Ça se met bien en place.
Le format festival vous intéresse ?
Fabien Martin : Oui, bien sûr. J’ai
tellement été frustré de ne pas pouvoir jouer.
A Paris, je me suis trouvé confronté à plein
de petits endroits qui ne voulaient pas de moi. Je ne sais pas pourquoi.
A part le Tourtour, qui a fermé depuis malheureusement, qui
faisait tourner plein de gens. Donc, je suis avide de scène.
Par ailleurs, il faut être rock’n’roll pour faire
les gros festivals. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas rock’n’roll
mais c’est un vrai challenge que de jouer en plein air. J’adore
l’intimité des petites salles mais quand j’ai
vu les Rolling Stones jouer devant 50 000 personnes au Stade de
France, j’étais comme un fou. A vivre, cela doit être
énorme.
Quand vous dites je suis rock’n’roll,
il s’agit d’une clause de style ou pourriez-vous avoir
un répertoire plus rock ?
Fabien Martin : Je ne dis pas du tout que je suis
rock’n’roll, mais juste que j’aimerais bien chanter
en plein air, ce qui correspond davantage à un format "rock".
Jeune, je n’aimais pas le rock ; j’étais très
jazz. Ce que je n’aimais pas c’était l’attitude
du rock. Je ne savais pas écouter cette musique car pour
moi ce n’était que l’attitude. Les mecs cassaient
leurs guitares, Iggy Pop à poil sur scène, pour moi
c’est Fun radio !
Depuis quelques années, j’apprécie
davantage. J'adore P.J. Harvey, Lou Reed, Radiohead, j’ai
redécouvert Depeche Mode. J’aime la musique quand elle
est bonne quel que soit le style. Il est vrai que j’aime l’énergie
et j’ai envie de mettre un peu plus de guitares électriques,
au moins sur disque. J’ai évolué et j’aime
de plus en plus ce qui est brut et dépouillé dans
la musique.
Et pour le deuxième l’album, avez-vous
déjà une idée de couleur musicale, notamment
avec des chansons que vous introduiriez dans vos concerts ?
Fabien Martin : Oui, je vais essayer pour voir
comment le morceau réagit.
Les chansons d’Ever Everest avaient déjà
vécu sur scène ?
Fabien Martin : Pas toutes." L’odyssée
d’Olegario" a été écrite quelques
mois avant l’enregistrement de l’album. Elle n’est
donc pas jouée depuis très longtemps. C’est
toutefois une chanson qui plaît beaucoup. Je l’ai constaté
quand j’ai fait les premières parties de Francis Cabrel
car c’était l’un des cinq morceaux que nous jouions
et que le public appréciait le plus. Ce qui m’a étonné
car ce n’est pas le morceau le plus entraînant. Mais
il raconte une histoire. Et comme, il plait cela me rassure puisque
c’est un texte récent. Donc je me dis que je suis sur
la bonne voie.
Difficile d’éviter, pour un artiste
qui débute, la question relative à ses influences.
Fabien Martin : Il y a ceux qui m’ont marqué
sans m’influencer. Il n’y a pas de genre qui m’a
influencé. Il y a beaucoup de personnalités. Enfant,
j’aimais Stevie Wonder, Mile Davis, Coltrane, Billie Holiday.
Je m’en suis éloigné depuis. En France, il y
avait Alain Souchon, Mano Solo, Jean-Louis Murat, Alain Bashung,
Astor Piazzolla. J’adore les musiques du monde, le tango….
En France, les articles qui vous sont consacrés
font souvent référence à de grands noms de
la chansons française. Quel est votre sentiment ?
Fabien Martin : Je ne les lis pas tous. On m’avait
comparé à quelque chose entre Dave et Mano Solo. C’était
marrant. Pour être sincère, personne n’aime être
comparé, même aux plus grands. C’est un métier
d’égoïste où l’on veut être
unique. Le meilleur compliment est de lire ou d’entendre que
cela ne ressemble à rien d’entendu. C’est impossible,
évidemment, mais c’est ce que l’on souhaite entendre.
Un artiste est fait de beaucoup des autres et d’une infinie
partie de lui-même.
Pourquoi faites-vous des reprises , Piaf dans
le disque, Brel sur scène ?
Fabien Martin : Je fais ces adaptations sans trop
me poser de questions. Il n’y a pas de démarche intellectuelle
sous-jacente. Je fonctionne à l’envie. Si cela me plait,
je le fais. Peut être que j’ai aussi un peu peur, du
fait que les gens ne connaissent pas mes chansons, de les lasser.
Vous vous dites timide et cependant la scène
vous expose en vous mettant en pleine lumière.
Fabien Martin : Je suis très timide quand
il s’agit de demander l’heure à quelqu’un
dans la rue mais sur scène, je peux tout faire car j’ai
l’impression que rien ne peut m’arriver et que s’il
m’arrive quelque chose, ce n’est pas très grave,
je m’en sortirais toujours par une pirouette ou autre chose.
Mais ce n’est pas le cas dans la vie. Quoique cela va mieux.
Etes-vous davantage vous-même sur scène
que dans la vie ?
Fabien Martin : Je ne sais pas ce que cela veut
dire être soi-même. Je pense que je suis identique sur
scène que dans la vie dans la mesure où je ne revêts
pas un déguisement ou un masque. Du moins, je veux tendre
vers cela. Et puis, il est difficile de le savoir car on peut se
tromper soi-même et le déguisement peut s’installer
de manière insidieuse au point où on devient un autre.
"Je est un autre" comme disait Rimbaud.
Quel est votre ressenti par rapport aux événements
heureux qui arrivent depuis quelques mois ?
Fabien Martin : Je n’ai pas l’impression
qu’il se passe quelque chose. C’est ma vie. Je ne suis
plus dans le rêve. Et c’est formidable car j’ai
l’occasion de faire ce que j’ai envie de faire depuis
toujours. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance mais j’ai
beaucoup travaillé pour m’en sortir, à une époque
où j’étais tout seul. Je dépensais beaucoup
d’énergie pour travailler, payer les musiciens. Je
ne sais pas si j’aurais encore cette énergie aujourd’hui.
Vous semblez très à l’aise
sur scène. A quoi cela tient-il ?
Fabien Martin : C’est très difficile
de faire de la scène. Mais il est plus difficile pour moi
de jouer dans mon salon devant 3 personnes. Devant une grande salle,
ça va, je n’ai pas peur.
Préférez-vous les petites scènes
aux grandes ?
Fabien Martin : Je préfère les grandes
! (rires). Enfin le Casino de Paris qui est une petite salle pour
Francis Cabrel, c’est pour moi une grande salle ! J’ai
moins peur car on sent moins les gens. Par exemple à l’Européen,
j’avais l’impression qu’ils étaient tout
à côté de moi et c’est angoissant de sentir
toutes les individualités. Dans une grande salle, cette impression
est moins forte.
La musique est une passion pour vous. Est-il envisageable
de ne plus en faire ? Est-il possible qu’un jour vous vous
arrêtiez ?
Fabien Martin : Qui sait ? Mais ce serait dommage
d’arrêter maintenant ! Il y a 10 ans, la musique était
pour moi quelque chose de passionnel, de viscéral et je ne
pouvais pas passer une journée sans faire 3 heures de piano.
Aujourd’hui, il y a d’autres choses qui m’intéresse
: la lecture, le cinéma, la cuisine, jouer à la game
boy…non je plaisante. Je remplis ma vie d’autres choses
mais je ne peux pas envisager de ne pas faire de la musique.
Si vous ne disposiez que de 3 mots pour décrire
vos chansons ?
Fabien Martin : Oh ! Je dirais paradoxe, aventure
et espoir.
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