Réalisé par Daniele Cipri et Franco Maresco. Itale. Drame. 1h38 (Sortie 3 juillet 2013). Avec Salvatore Gattuso, Pippo Augusta et Salvatore Schiera.
Un homme effaré au physique antique fait face à la caméra et ôte son œil gauche, un autre, en pleine campagne, besogne un âne pendant que le paysan propriétaire de l’animal détourne le regard, attendant la fin de l’exercice pour recevoir le prix de la passe.
C’est ainsi que commence cette promenade aux alentours de Palerme et de ses grands ensembles.
Dans un noir et blanc qui tient des premiers Pasolini, on retrouve l’ambiance étonnante que l’on avait aimée au début de l’année quand était sorti le dernier film de Daniele Cipri, "Mon père va me tuer". On y découvre le même plaisir à filmer des personnages aux trognes expressives et de les saisir autour d’un repas pas très ragoûtant dans des HLM tristes.
"L’Oncle de Brooklyn" a des relents felliniens, voire fellino-pasoliniens, mais le grotesque et le mauvais goût - avec flatulences et rototos à tous les étages - y remplacent abondamment la démesure poétique et les outrances artistiques de Fellini.
À l’occasion de "Mon père va me tuer", on avait comparé le cinéma de Daniele Cipri et celui, hors norme, du Suédois Roy Andersson. L’analogie se précise avec cet "Oncle" et sa propension à faire surgir de l’absurde dans le dérisoire, à montrer des petits personnages perdus nus ou en slip au milieu d’une route vide ou marchant dans un terrain vague encadrés d’immeubles indifféremment en construction ou à l’abandon.
Pas beaucoup de dialogues, des scènes qui se répètent ou se contredisent, filmées en accéléré ou presque au ralenti, rien n’est acquis dans cet empilement de saynètes où l’on ne sait jamais s’il faut rire ou pleurer, se moquer ou compatir. On y verra des cortèges funèbres qui se croisent, celui des pauvres devant laisser la priorité à celui des riches mafieux.
Quelques séquences après, un homme en slip fera face à la caméra, s’en approchera et se mettra à compter les spectateurs censés être dans la salle…pour finir par cracher dans leur direction quand il s’apercevra que l’un d’eux quitte son fauteuil.
On y verra aussi un nain, non pas voleur d’une bicyclette, mais d’un vélo de courses. On y suivra un homme en blanc sortant de son cercueil suivant d’autres hommes blancs qui l’ont précédé pour rejoindre les verts pâturages dont l’horizon est peut-être paradisiaque. Des chiens surgiront de partout et de nulle part, un peu comme cet Oncle de Brooklyn dont on ne saura rien puisque son court récit sera opportunément couvert par des bruits de pets…
Fourbi baroque et surréaliste, rempli d’allusions chrétiennes et d’évocations païennes, "L’Oncle de Brooklyn" de Daniele Cipri et Franco Marescose savoure et se picore comme une grande salade d’été qui contient du sucré et du salé, du sacré et du sali. Un soi-disant producteur vient le conclure en s’y reprenant à plusieurs fois pour bafouiller que ce "film avait pour but d’en finir avec les lieux communs liées à cette ville".
On ne peut pas affirmer que l’entreprise sera suffisante pour donner une autre image de la Sicile. Ce qui est sûr, c’est qu’on sera gâté question "autres images" dans ce méli-mélo de subversion carabinée et d’humour noir vraiment noir où la mort tisse sa toile sur la toile en faisant croire que rien n’est sérieux…Et si c’était vrai ? |