En route pour le Château de Beauregard à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen. On craignait la boue, comme l'année dernière, mais le week-end s'annonce beau et chaud. La programmation de cette année avait déjà de quoi nous ravir, mais sous le soleil ou sous les étoiles, c'est encore mieux. En seulement cinq éditions, le festival de Beauregard est devenu un des événements pop-rock les plus excitants de l'été, avec un choix d'artistes bien équilibré entre découvertes, chanteurs populaires mais de qualité, grosses machines rock en tête d'affiche et musiques électroniques pour terminer la nuit.
Le temps de se garer, de pénétrer sur le site, et nous voilà devant la petite scène, près de l'entrée pour l'ouverture des hostilités par un combo qui a de quoi nous émoustiller, 69, duo formé par deux anciens de Sloy, groupe biterrois auteur du tranchant Plug dans les années 90. Ah non, changement de dernière minute, en raison de problèmes de santé, 69 est remplacé au pied levé par un duo électro-pop local, les Goodbye Horses. Bien que court, 40 minutes, et devant un public encore clairsemé, le concert est enlevé. Un batteur et un guitariste / clavier, deux voix, les deux caennais ne ménagent pas leurs efforts. Malgré la chaleur de la fin d'après-midi, ils donnent tout ce qu'ils ont.
Déjà roués à la scène, ils sont arrivés en finale du Prix Ampli Ouest France l'année dernière et en finale du Tremplin du Cargö, la salle des musiques actuelles de Caen, cette année. Ils ont même ouvert pour Miles Kane lors de son dernier passage dans le Calvados. Avec des influences qui viennent des années 80, mais aussi de groupes comme Grizzly Bear ou Tame Impala, la formule pop rock dansant mâtinée d'électro des Goodbye Horses ouvre le festival sous les meilleurs auspices.
L'enchaînement avec Half Moon Run sur la grande scène est très rapide. Les trois jeunes montréalais ont joué à la Maroquinerie et aux dernières Transmusicales, il apparaît que c'est tout de même une découverte pour la presque totalité des spectateurs. Leur disque, Dark Eyes, même s'il n'existe physiquement dans les bacs que depuis deux semaines environ, est disponible en digital sur la toile depuis presque un an et demi.
"Dark Eyes" rappelle par ses harmonies et son sens de la mélodie les meilleurs moments des Fleet Foxes, rehaussés d'une pointe d'Arcade Fire, et d'une pincée de Radiohead, mais le manque de souffle épique, voire d'ambition du disque, rend celui-ci plutôt dispensable, trop ancré dans les années 90.
Cependant sur scène, le trio devenu quatuor, s'éclate. Multi-instrumentistes, les quatre garçons s'expriment en français ou en anglais entre les morceaux. C'est plus grâce à leur gentillesse, leur bonne humeur et leur énergie qu'ils parviennent à transcender des chansons agréables mais néanmoins dispensables. Quoiqu'il en soit, la prestation des Half Moon Run reste une bonne mise en bouche pour un festival de Beauregard où on peut encore s'asseoir dans l'herbe au soleil avant l'arrivée de la foule.
Deuxième découverte locale, avec un groupe originaire de L'Aigle dans l'Orne, Bow Low. A ne pas confondre avec les Bolosses puisque les cinq garçons du groupe ne le sont pas du tout. Leur second album, 30W 10W, est sorti en novembre de l'année dernière, il vise du côté du far-ouest, celui qui est au-delà des territoires celtiques, au-delà de l'océan.
On s'attendait à des duels de 6-cordes, mais c'est finalement le clavier et la voix qui se taillent la part du lion. Sur scène, malgré des chansons aux titres évoquateurs comme "Machete" ou "Looking for the West", ce sont des Kaiser Chiefs fans d'Ennio Morricone qu'on a l'impression de découvrir. Les chœurs masculins viennent soutenir des mélodies nerveuses. Le chanteur communique souvent avec les premiers rangs. Encore une belle découverte pour un public qui a commencé à arriver en nombre.
Premier nom bien connu des festivaliers, The Vaccines. le groupe britannique a ouvert pour les Red Hot au Stade de France et va bientôt jouer en support sur la tournée nord américaine des français de Phoenix. Pas de doute, c'est carré. Les quatre mecs, habillés tout de noir, jouent en plein soleil. En décor de fond de scène, la pochette de leur dernier album, Come Of Age, en immense. Le show est à l'image de leur dernier single, Teenage Icon ("I'm no teenage icon, I'm no Frankie Avalon, I'm nobody's hero"), une image proprette de faux, de surfait.
Les Vaccines font de la pop à grosses guitares comme d'autres font des gâteaux trop caloriques qui bouchent les artères. Les récents bacheliers qui ont besoin d'évacuer leur trop-plein d'hormones, sous les effets conjugués de la bière et du soleil, lèvent les bras et tapent dans leurs mains même s'ils ne comprennent pas un mot de "Post Break Up Sex" bientôt entonné par le groupe. Le fait d'entendre "sex" dans les paroles d'une chanson semble suffire à les exciter. Le public s'éclate sur un groupe aussi pro que faux. Grand bien leur fasse.
C'est ensuite au tour des Local Natives de monter sur scène. Déjà vus à Beauregard trois ans auparavant, leur son est aujourd'hui plus enveloppé. De plus, les hipsters sont en passe de devenir mainstream avec leur album Hummingbird, pourtant moins facile d'accès que son prédécesseur Gorilla Manor. Approcher la scène est devenu difficile à cette heure, le site est déjà très rempli aux alentours de 20h. On écoutera donc les morceaux lents et introspectifs du début de concert de loin.
Mais même si les Local Natives semblent bien plus sincères dans leurs compositions que les Vaccines auparavant, il manque le petit plus qui fait décoller le concert. Peut-être est-il venu après la reprise de "Warning Signs" des Talking Heads, mais trop tard alors puisqu'il était déjà temps d'aller s'accrocher aux barrières de la grande scène pour un des concerts événement de cette édition de Beauregard 2013 : New Order.
New Order a beau tourner depuis deux ans avec à peu près la même tracklist à chaque apparition, on continue à aller les voir dès que possible. Peter Hook a beau avoir quitté le navire pour une opération "haro sur les porte-monnaie" en reprenant les chansons de Joy Division, on s'en fiche, on a retrouvé Gillian Gilbert à la place, Bernard Sumner a beau chanter toujours aussi mal et pousser des petits cris, on s'en fiche tout court. New Order est un navire amiral insubmersible, et des titres comme Temptation, Bizarre Love Triangle, Ceremony, Blue Monday des classiques. Le concert est soutenu par un impressionnant écran en fond de scène, des extraits de clips (Crystal, True Faith) ou des créations vidéos.
La voix de Barney est toujours aussi juvénile même si les rides sont bien présentes, Stephen Morris ne quitte désormais plus ses grosses lunettes de vue, Gillian Gilbert a plus une allure à aller cueillir des tomates dans le fond de son jardin qu'à jouer des claviers dans le plus grand groupe de synth pop du monde et Phil Cunningham a rejoint le groupe depuis treize ans mais semble toujours être une pièce rapportée.
La musique de New Order, est étonnamment jeune pour un groupe qui accumule 32 années de carrière. Il faut dire que leur musique est intrinsèquement tournée vers la fête, la nuit, même si les paroles distillent toujours une petite dose de nostalgie. Ces chansons sont plus importantes que ceux qui la font, plus grandes, elles sont intimement mêlées à la vie de nombreux quadra et quinqua qui occupent les premiers rangs. Quant au petit con qui ne connaissait pas le groupe, lycéen bourré et insupportable sac à sébum, qui a essayé de me pourrir le concert juste pour le plaisir d'emmerder le monde, comme on le fait lorsqu'on est un con d'adolescent, ses parents auraient dû lui apprendre que lorsque, après quarante ans, on passe devant 10.000 personnes pour s'approcher des premiers rangs d'un concert, on peut encore se montrer capable, dans un moment de grand énervement, de filer un coup de boule à un bachelier ivre pour le faire taire. Et s'il avait été atteint par un étrange phénomène de combustion spontanée, je n'aurais même pas pris la peine de soulager ma vessie sur lui pour le sauver. Donc, hormis l'épisode personnel du bachelier soiffard (comme quoi, il y a certainement du vrai lorsqu'on entend dire que n'importe qui peut avoir son bac de nos jours), le concert de New Order fut le premier grand moment de Beauregard et un des meilleurs concerts sur les trois jours de festival.
En traversant le site du festival pour rejoindre la seconde scène, on remarque un changement de public. Presque uniquement composé de (très) jeunes gens durant la fin d'après-midi, les familles ont investi les lieux. Il y a maintenant des parents qui accompagnent leur ado, et même, dans des poussettes, de très jeunes enfants avec leurs gros casques anti-bruit sur les oreilles. L'ambiance a changé, moins foire aux bestiaux, à la picole et au biactol, plus tranquille, plus apaisée. Les stands de bouffe de festival sont bondés. Les odeurs de saucisses, de merguez et de frites se mélangent à la poussière soulevée par les transhumances successives de la scène A à la scène B, puis de la scène B vers la scène A. A part un stand de gâteaux et de cookies, cette année il n'y a pas de stand de nourriture qui donne vraiment envie. Graisse et féculents à tous les étages. On remarque, par contre, le travail extraordinaire accompli par les bénévoles grâce à qui le site reste propre, ce qui permet de continuer à s’asseoir dans l'herbe pour regarder les concerts sur les écrans, le temps de souffler, de reprendre des forces ou de se sustenter.
C'est ensuite Alt-J qui investit la petite scène. Restés jusqu'au bout pour New Order, nous restons au loin pour le concert des quatre garçons de Leeds. Lorsqu'on a toujours été plus PC que Mac, et qu'on tape alt-J sur son clavier, on entend juste un bip d'erreur et aucun delta n'apparaît à l'écran. C'est peut-être pour cela que la pop des britanniques, bien qu'encensée par toute la critique, nous laisse totalement froid. On a l'impression d'un cocktail de Keane, Coldplay et Devendra Banhart, avec quelques poils de barbe dedans. Un cocktail remué à la cuillère et non shaké tellement c'est mou. Le son est bon, c'est pro, il y a de jolies lumières, et on s'ennuie poliment. Leur album s'appelle "An awesome wave", une jolie vague, mais nous on reste sur la plage. Pas de houle au large de Ouistreham, anticyclone s'étendant du large de l'Islande aux îles britanniques pilotant un flux de secteur nord-est en Manche, exactement la météo qu'il nous faut pour quitter Alt-J, le groupe surfait (sur la jolie vague). On entend le chanteur nous remercier en français alors que nous nous éloignons. Le public semble ravi du concert.
Nous aurions aussi pu sembler ravis de partir si ça n'avait été pour retrouver M. L'énorme majorité des festivaliers venaient pour le lutin à lunettes et à tubes, l'un des rares fils de devenu plus connu que son papa. On s'attendait à du show sound & vision, voire à être agréablement surpris, à pouvoir saluer la performance à défaut d'apprécier la musique. Mais non, rien de tout ça. D'abord M veut totalement maîtriser son image, c'est pourquoi il n'a même pas daigné accorder un entretien à France 3 ou à Paris Normandie, les médias locaux partenaires du festival. Ensuite plutôt que d'offrir des lumières aux photographes le temps des premières chansons, il joue avec un éclairage totalement bleu rendant ainsi toute illustration d'article difficile. Ce n'est certes pas agréable pour les photographes mais, quand on y réfléchit, ça l'est encore moins pour le public venu voir du grand spectacle en famille. Le pire, est que clairement Matthieu Chedid ignore où il est. "On va faire des extraordinaire, ce soir, ...dans ce festival". "Vous êtes un public magnifique...dans ce festival".
Matthieu Chedid aurait pu être dans un festival à Annemasse ou à Noeux-les-Mines, il semblait venir de se réveiller ou avoir des trous dans la tête. Entouré de deux musiciens seulement, la scène est bien vide laissant de l'espace pour que le chanteur à lunettes puisse courir, bouger, sauter. M comme mécanique, M comme magie absente, M comme moyen voire médiocre, M comme mauvais acteur. On voulait des tubes et du show, on en a eu mais sans le cœur, sans la générosité, sans émotion, sans le mojo. Une date parmi d'autres pour M, une date sur un agenda trop chargé, une date sans envie et sans plaisir, bien que le public ait répondu présent en masse et, encore une fois, ait semblé apprécier cette pourtant bien triste représentation, cette mascarade.
On a laissé M à son spectacle d'illusionniste et de poudre aux yeux depuis longtemps afin d'être prêt et près pour The Jon Spencer Blues Explosion. On retrouve devant la scène B les mêmes vieux que ceux qui étaient dans les premiers rangs pour New Order. On s'amuse de voir un type avec la coupe de cheveux de Jay Mascis à côté d'un autre qui arbore un t-shirt des Dinosaur Jr. On voit Russel Simins, le batteur du Blues Explosion, un sac en plastique à la main se traîner l'air débonnaire jusqu'à ses fûts pour la balance.
M termine enfin son show en conserve. Jon Spencer peut entrer sur scène, habillé de noir, pantalon en cuir, ceinture cloutée. Et là, ça envoie. Les morceaux s'enchaînent, la puissance sonique explose. Toujours pas de lumière pour les photographes, mais Jon Spencer s'en fout, lui n'a pas besoin de photos pour se construire un personnage. Le Jon Spencer Blues Explosion, c'est du brutal, du nerf à vif, du cinglant, du bestial. Il y a là-dedans de quoi faire fuir les familles venues pour M, peut-être les organisateurs veulent-ils que le départ des spectateurs s'étalent au long des derniers concerts. Ils enchaînent les morceaux sans pause si ce n'est pour lancer des "Ladies and gentlemen, we are the Blues Explosion". Les morceaux de l'album "Meat + Bone" sonnent encore plus trash que sur disque. Judah Bauer balance, presque avec détachement, des bombes incendiaires. Jon Spencer râle, hurle et se démène comme un malade. Quant à Russel Simins , il a perdu déjà deux litres de sueur après le troisième morceau. Jack White et les Black Keys peuvent ramasser leurs pelles et leurs seaux, les new-yorkais du Jon Spencer Blues Explosion sont de retour après huit ans, et ça nettoie les conduits auditifs à la guitare abrasive.
L'enchaînement final de cette première soirée est étrange puisque, après les guitares blues punk, c'est l'électro atmosphérique trip-hop de Wax Taylor qui résonne sur le site. Enfin, qui résonne après quelques petits problèmes techniques qui obligent l'homme au chapeau à abandonner son premier morceau. L'ambiance est agréable, la qualité des musiciens irréprochable, la voix de Charlotte Savary toute en harmony. Wax Taylor a son univers qui permet de clôturer la soirée en douceur mais qui aurait certainement pu être programmé plus avant dans la journée, à la nuit tombante plutôt que sous les étoiles.
Cette première journée du festival a donc tenu toutes ses promesses, voire plus. |