L'incroyable
Fabrice Eboué propose aux Blancs Manteaux un one man
show décapant qui se joue des discours des bien pensants
sur les sujets de société, comme disent les médias,
comme des ses petites mésaventures personnelles.
Sourire, rire, autodérision, dérision, lucidité
ou cynisme, toutes les pistes sont bonnes à explorer pour
divertir mais aussi pour titiller l'esprit.
Rencontre avec un humoriste qui, même s'il dit avoir fréquenté
les fonds de classe, n'a pas raté le jour de la distribution
du bon sens et de l'intelligence.
Comment êtes-vous arrivé aux Blancs
Manteaux avec un one man show ?
Fabrice Eboué : J’ai commencé
un peu par hasard sur une scène ouverte à Paris, le
Centre Six qui est peu connu, en duo avec un ami pour s’amuser.
Nous l’avons 2-3 fois et cela se passait bien. Je voulais
continuer car je me suis pris au jeu. Lui ne le souhaitait pas car
il faisait du théâtre. J’ai donc continué
seul. Le hasard. Mais j’ai toujours eu le sens du comique
et de l’humour. J’étais un habitué du
fond de la classe à amuser les foules et je n’étais
pas bien à ma place dans le cadre études. Il a donc fallu trouver
une solution et c’est tombé à point nommé.
Vous faisiez des improvisations ou c’était
déjà des textes écrits ?
Fabrice Eboué : Nous avons la chance que
le théâtre reste assez démocratique dans le
sens où on peut s’exprimer dans plein d’endroits
où ils font des plateaux et reçoivent des gens qui
se présentent pour la première fois et selon un concept
de concours. On s’inscrit en début de soirée
et on dispose de 10 minutes pour faire ses preuves.
Nous voulions amuser les amis. Nous écrivions
les textes l’après-midi et nous les apprenions et puis
nous improvisions un peu par dessus le soir. Ensuite j’ai
fait des scènes un peu plus classiques comme le Fieald au
Trévise le dimanche soir, le Café Oscar, les plateaux,
quelques festivals. Je suis arrivé aux Blancs Manteaux avec
mon spectacle en audition. Les filles des Blancs Manteaux ont apprécié
et m’ont laissé le temps de faire évoluer mon
spectacle.
Sur ces différentes scènes, vous
proposiez un format sketches dont vous étiez l’auteur
?
Fabrice Eboué : Tout à fait. C’est
un format sketch mais pas avec des personnages. Je fais, en termes
techniques, du stand up car je m’exprime beaucoup en ma personne
même si j’émaille mon discours de certains personnages. Il y a beaucoup de choses qui passent au premier degré dans
la forme même si c’est au second degré dans le
fond. Et ce sont mes textes avec le risque que cela comporte quand
on est débutant car le public est assez réactif sur
les plateaux. C’est la meilleure école. C’est
une école très démocratique qui élague
dès que l’on commence. Il y a ceux pour qui cela se
passe bien et ceux qui reçoivent des mines et donc qui se
dirigent vers autre chose.
J’ai eu la chance que cela se passe plutôt
bien en général ce qui m’a permis de construire
un spectacle. C’est ce qui explique que le tout premier spectacle
d’humoriste est souvent le meilleur car il a été
construit sur plusieurs années, sketch par sketch qui ont
tous été testé sur les plateaux. Ensuite, le
deuxième spectacle est écrit d’un bloc et quand
on le présente sur scène on ne sait pas ce qu’il
vaut réellement.
Comment avez-vous choisi et réuni les sketches
écrits de manière éparse pour former un spectacle
cohérent ?
Fabrice Eboué : Le spectacle est effectivement
fluide car il n’est pas composé d’une série
de sketches séparés par des noirs. Le fond est constitué
par ma biographie car je me présente et je raconte de nombreuses
péripéties de mon existence telles ma scolarité,
ma vie d’artiste, et des sujets plus généraux
comme les clubs de vacances. Ce qui m’intéresse ce
sont les thèmes d’actualité et donc le spectacle
peut changer d’un jour à l’autre dans le sens
où l’actualité évolue constamment.
Mais dès lors qu’on a le fond et la
trame du spectacle, qui est mon histoire entre guillemets, puisqu’il
y a quand même des adaptations pour la scène, ce n’est
pas très compliqué dans le stand up d’improviser
de temps en temps et d’aborder des thèmes d’actualité
comme le racisme, l’immigration, le dopage, tous les thèmes
qui me tiennent à cœur car je bénéficie
d'une grande liberté sur scène.
Ce qui implique que vous écrivez en permanence
?
Fabrice Eboué : Exactement. Tous les jours.
Je suis l’actualité. En fait, je l’ai fait énormément
sur les six premiers mois du spectacle. Aujourd’hui par un
souci de mise en scène et aussi de rigueur dans le jeu, je
m’astreins parfois à figer le spectacle même
s’il faut constamment évoluer pour s’amuser sur
scène. Comme j’ai un souci avec la monotonie et, quoi
que l’on dise, c’est comme tout travail parfois on n’a
pas forcément envie, mon petit plus et mon étincelle
c’est de me dire : "Ce soir je vais tenter ce nouveau sketch",
essayer de parler de tel sujet, ou je vais me laisser une plage
d’improvisation. Et c’est cela qui me donne la pêche
tous les soirs et me donne envie de monter sur scène.
Et j’avais beau être en état
d’autodérision permanente en parlant de cette galère,
les gens étaient morts de rire. Les gens sur des choses qui
vont sembler cruelles sur des thèmes difficiles ce n’est
pas le plus dur. Le plus dur c’est des choses profondes, des
souffrances réelles. Ce ne sont plus des mots, c’est
du vécu. Venir avec son vécu sur scène c’est
un plaisir d’artiste mais aussi c’est aussi essayer
de faire passer de l’émotion ce qui est essentiel dans
un spectacle. Un rire est d’autant plus fort qu’il est
précédé d’un moment de vrai ou d’émotion.
Et c’est vers quoi je veux aussi orienter mon spectacle, avoir
des plages de grand rire à des moments où les gens
vont ressentir de l’émotion.
Le spectacle ce n’est pas que du rire même
si je pense que j’ai actuellement un spectacle que j’estime
efficace c’est du stand up Je suis en relation constante avec
le rire. Si je n’ai pas un rire derrière ma réplique,
ce n’est pas bon pour moi car j’ai un rythme. Le stand
up ce n’est pas que du sketch. C’est essentiellement
un rythme. Je dis cela, le public rit, je dis ça, et ça
revient. C’est aussi une formule à gérer.
Vous abordez de manière non politiquement
correcte des thèmes délicats qui ont une sorte d’effet
kiss cool c’est-à-dire qu’après le rire
vient la réflexion. Comment cela passe auprès du public
?
Fabrice Eboué : Ça passe très
bien. Quoi qu’on dise c’est toujours la forme qui prévaut.
Si c’est bien fait, tout peut passer. Le fond est très
important mais la forme passe devant. Et puis j’ai un alibi
par rapport à certains thèmes, comme celui de l’esclavage
par exemple, parce que je suis métisse. Je ne me le permettrais
sans doute pas si j’étais totalement caucasien. Il
faut aussi une qualité de texte et de jeu. Si c’est
fin et intelligent, on peut dire beaucoup de choses. Bien sûr,
l’éternel débat "Peut-on rire de tout ?" demeure.
Mais même sur ce point, je fais un peu d’autodérision
dans mon spectacle.
J’ai cette culture de rire de toutes choses
dures. Les choses tièdes ne m’amusent pas. Il faut
que je pousse le truc très loin, un peu dans l’horreur.
J’ai 27 ans et par exemple mes films de référence
c’est "C’est arrivé près de chez
vous". Ça me fait rire. J’apprécie aussi
des humoristes comme Michel Muller qui vont très loin et
qui dérangent. Je pense que je suis sain vis-à-vis
des sujets que j’aborde. Par exemple j’aborde au second
degré le sujet de l’homosexualité parce que
je n’ai pas de problème vis-à-vis des homosexuels.
Et bizarrement c’est souvent les gens qui ne sont pas concernés
directement qui crient au scandale. J’ai un bon retour de
la part des homosexuels qui viennent voir le spectacle.
Vous jouez actuellement 3 fois par semaine aux
Blancs Manteaux . Avez-vous des projets pour l’exporter c’est-à-dire
le jouer de manière plus continue dans un autre lieu ?
Fabrice Eboué : Cela fait maintenant 10
mois que je joue ce spectacle et j’estime qu’il arrive
à maturité d’un point de vue scénique.
Je vais continuer dans le but qu’il décolle mais ici
aux Blancs Manteaux d’autant qu’il s’agit d’une
salle qui a vu démarrer des grands donc c’est un bon
tremplin. Bien sûr, à terme, c’est d’aller
jouer dans une salle plus grande. Cela étant, aujourd’hui
j’ai l’impression que le public boude un peu le stand
up et le one man show par saturation peut être. Je suis sur
d’autres projets car j’aime beaucoup l’écriture.
J’écris des pièces, des chroniques.
Vous avez un peu abordé les projets. Allez-vous
conserver et privilégier ce format de spectacle ?
Fabrice Eboué : Pour le moment, je prends
bien mon pied sur scène. Donc je continuerai dans cette voie.
Cela étant, on peut se demander si ce genre de spectacle
n’induit pas une sorte de dictature du rire. Il ne faut s’enfermer
dans la monotonie. Donc j’écris en ce moment une pièce
à 2 personnages dans un format théâtre et également
un monologue mais en racontant une histoire. J’ai envie de
raconter de belles histoires aux gens et je pense que le cynisme
passera d’autant mieux . Il y a déjà un peu
les prémisses de cette démarche dans mon spectacle.
Je pense d’ailleurs que notre métier s’orientera
davantage vers cela dans l’avenir. Ce ne sera plus le one
man show avec la blague pour la blague.
Allez-vous au théâtre en tant que
spectateur ?
Fabrice Eboué : Le one man show très
peu parce que quand on a un regard professionnel on anticipe sur
ce que l’on voit et on pense à la chute. Je ne suis
pas un spectateur lambda et donc l’effet surprise n’est
pas là. En revanche, on va davantage apprécier en
termes de jeu. Quant au théâtre, j’y vais davantage
pour apprendre et m’informer car je suis en plein dans l’écriture
d’une pièce. Je vois donc forcément les spectacles
d’un point de vue professionnel. C’est un peu dommage.
En revanche, je lis beaucoup et je privilégie la lecture.
Que puis-je vous demander de plus par rapport
à votre jeune carrière ?
Fabrice Eboué : Le mot est important. Il
est vrai que j’ai 27 ans et que les humoristes que je vois
autour de moi ici sont plutôt des trentenaires. Je démarre
avec ce spectacle et je prends mon temps. Cela me permet de me former
pour aller vers d’autres horizons.
Quelle est la visibilité pour la pièce
que vous écrivez et s’agit-il d’une pièce
de théâtre au sens classique du terme ?
Fabrice Eboué : Je pense que ce sera très
rapide à Paris prochainement ou à Avignon cet été.
L’opposition théâtre/café théâtre
ne me semble pas fondamentale. Un bon spectacle est celui qui possède
un fond mais qui sait rester fédérateur et populaire.
La pièce en cours d’écriture tend vers cela.
Je ne rejette personne dans la forme, alors que mon spectacle peut
froisser certaines personnes, L’aspect fédérateur
ne répond pas à des soucis démagogiques ou
commerciaux.
Cela fait très plaisir de voir une salle
entière acquise aux propos. Et se dire qu’on a fait
notre métier qui est de faire rêver les gens et de
leur faire passer un bon moment. Et si en plus, on a pu éveiller
une conscience, je pense que j’aurais à peu près
rempli ma mission et c’est la raison pour laquelle je monte
sur scène.
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