Qu'avons-nous fait de nos vingt ans et que restera-t-il de nos vies ? Avec "Immortelles", sa première incursion dans la fiction littéraire, Laure Adler, répond à sa manière à travers la parole d'une narratrice habitée par la figure de trois amies aujourd'hui disparues du monde tangible, par la mort ou l'effacement, qui actionne le devoir de mémoire pour évoquer "ses" immortelles.
De milieu et d'origine différentes, ayant traversé la deuxième moitié du 20ème siècle, ces immortelles ont pour prénom Florence, Judith et Suzanne. Chacune à son histoire familiale, son vécu et son univers et.
Appartenant à la même génération de femmes nées au tout début des années 50, celle désormais siglée "génération 68", elles ont participé à l'écriture de l'histoire des femmes.
Le point commun entre Florence la fugueuse, Suzanne la "bâtarde" et Judith la "youpine", outre la figure paternelle absente ou inexistante, tient à leur construction identitaire en tant que femme en creux par rapport à une figure maternelle passive, une mère qui est plus femme que mère, respectivement névrosée borderline, amoureuse invétérée et stigmatisée de la Shoah, qui néanmoins impactera significativement leur devenir.
Leur rencontre successive au lycée, dans un camp de vacances et à l'université, constitue pour la narratrice un événement majeur et déterminant dont elle porte témoignage : "Elles m'ont offert le sentiment de l'intensité et m'ont donné ce qu'elles avaient de plus précieux : leur amitié" et "Avec chacune d'elles, j'ai vécu des événements qui ont façonné ma personnalité et contribué à construire mon rapport au monde".
Sous forme de portrait biographiques sensibles, Laure Adler, philosophe de formation, essayiste, biographe, journaliste, enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris et figure incontournable de la culture, livre un opus de facture classique, tant au fond qu'en la forme, avec une narration structurée autour de périodes charnières, du "sentiment de l’innocence" à "l’apprentissage de la désillusion" en passant par "la perception de l’existence", "le sentiment sexuel" et "le surgissement du réel", iqui ressortit au roman de formation.
Avec pertinence et acuité, elle traite notamment de l'amitié déclinée au féminin, loin des clichés souvent railleurs et péjoratifs qui affectent cette thématique, et plus, que la célébration de la félminité, procède à l'éloge de la sororité et écrit des pages lumineuses sur la jeunesse, "ce temps où rien n'était arrivé" selon les mots de l'écrivaine Annie Ernaux cités en exergue. |