Durant la dernière semaine du Festival de la Chanson Internationale de Granby (FICG), quatres groupes proposent des extraits de leur spectacle chaque après-midi aux professionnels venus des deux côtés de l'Atlantique. Ces "vitrines" leur permettent de se faire connaître pour, éventuellement, plus tard se produire lors de festivals.
Cet après-midi, le premier à se lancer dans l'arène est Kevin Thompson. Le chanteur n'a pas une voix rocailleuse, plutôt gravillonneuse car voilée mais haut-perchée. Il a sorti son premier album en 2008, et s'apprète à sortir son second qui comportera un duo avec Martha Wainwright.
En formation acoustique à deux guitares, le chanteur barbu ne se poile pas et balance un folk parfois un peu bancal où il est question d'amours malheureuses. Il explique que son retour à la scène est comme une rédemption, et qu'il apprécie donc de jouer dans une église. La chanson sur son fils, “Hassan”, ne manque pas de charme. Mais nous aurions souhaité plus d’énergie et de cœur, ce qui viendra certainement au fil des concerts.
Le groupe Les Hay Babies, la nouvelle sensation acadienne, est composé de trois jeunes femmes (Julie, Katrine et Vivianne) qui ont remporté les "francouvertes", les découvertes des francofolies, ce qui les a emmenées l'été dernier sur les scènes européennes des francos, à La Rochelle et à Spa. Armées d'une guitare sèche, d'un ukulélé et d'un banjo, les trois filles se succèdent en voix principale, soutenue par les harmonies vocales des autres. Les différences de texture de voix assurent une originalité à ce projet très abouti et sincère, qui traite d'amour comme de désertification des campagnes, comme chez Jean-Louis Murat. Pour l'instant, elles n'ont qu'un EP et elles enregistreront leur premier album sous peu. Soutenues par le même management que Lisa Leblanc à ses débuts, il y a fort à parier qu'on entendra parler d'elles en Europe sous peu.
David Marin avait sorti un premier album remarqué il y a cinq ans. Son nouvel album Le choix de l'embarras, qu'il a composé à Gaspé, sort en octobre au Québec. Pour son retour sur le devant de la scène, il a cette fois travaillé avec le leader de Karkwa, Louis-Jean Cormier, à la production. Le jeune homme aime s'amuser avec les mots ("Tu n'as fait qu'une escale dans mon lit au trésor"). On pense à la poésie de Gilles Vigneault, mais qui irait lorgner vers la vie de tous les jours. Le rythme de son folk rock est enlevé, lui à la guitare ou au clavier, son acolyte à la batterie ou à la guitare rythmique. Il termine sa vitrine avec la chanson "Le choix de l'embarras" d'inspiration jazz. Les chansons de David Marin sont à écouter car riches de sons et de sens.
Ce sont enfin les français d’Éléphant qui ferment la marche. Le duo est sympathique et pour les avoir vu en première partie de Benjamin Biolay en France, je savais déjà leur pop mélodique entraînante et le duo à l'aise sur scène. En trio, accompagnés d'un batteur et de samples, les chansons de Collective mon amour reprennent toute leur ampleur. Lisa est pieds nus, tandis que François porte des baskets à paillettes. Les harmonies vocales fonctionnent à plein. Difficile de faire danser des professionnels assis avec leur ordinateur sur la table, mais Éléphant ne se démonte pas et balance sa pop avec culot et bonne humeur malgré tout. Leur reprise de "Dimanche à Bamako" d'Amadou et Mariam remporte un franc succès, tout comme leur single "Collective mon amour".
Le soir venu, difficile de faire un choix entre d'un côté la scène consacrée à l'Acadie, avec La Virée, les Hay Babies, les Hôtesses d'Hilaire et Lisa Leblanc en tête d'affiche, et de l'autre, à la United Church, "la grand-messe du country" avec Chantal Archambault, Dany Placard, Cindy Bédard, Eric Goulet, Francis Faubert, Maxime Lefebvre, Sylvia et Myëlle. On décide donc de se laisser porter en fonction de l'humeur et des envies du moment.
La soirée acadienne commence avec La Virée. Le groupe n'est pas habitué à ouvrir, on fait généralement appel à eux pour terminer les soirées en Acadie.
Pas forcément à l'aise alors qu'ils ont pourtant une dizaine d'années de concerts derrière eux, ils envoient une musique traditionnelle qui pourrait ressembler à de la musique bretonne. L'ambiance est bonne, mais les chapiteaux tardent à se remplir, d'autant que la pluie tombe depuis la fin d'après-midi.
Ce sont ensuite les Hay Babies qui prennent possession de la grande scène. Les trois jeunes femmes sont aussi à l'aise devant un public nombreux que l'après-midi dans un cadre plus intimiste. Le public commence à se chauffer. Les harmonies vocales sont vraiment la force de ce groupe.
Pendant ce temps, à l'église, se déroule la grand-messe du country. La salle est remplie, le style est très populaire au Québec. Les artistes se succèdent très rapidement, enchaînant les uns après les autres après deux ou trois titres. Dany Placard, qui oeuvre devant l'autel, est entouré d'une bonne demi-douzaine de musiciens. Sa country est tout à fait traditionnelle. On regrette que les tables mises à disposition du public empêche de se lancer dans un petit square dance.
Retour aux chapiteaux pour la prestation des Hôtesses d'Hilaire. Ce ne sont pas des jeunes femmes qui entrent en scène, comme le nom pourrait le laisser supposer mais trois musiciens et un chanteur qui ressemble à un ogre. Ils envoient un bon gros rock qui tâche comme le rouge que le chanteur s'envoie à même le goulot. Il y a des résonances psychédéliques à leurs chansons. La présence scénique est impressionnante. Il faut avouer que la carrure du chanteur y est pour quelque chose. Un bon concert de rock velu.
C'est ensuite Lisa Leblanc qui clôt la soirée. Maintenant entourée de ses deux musiciens, mais aussi d'un violon, elle interprète les titres de son premier album et quelques nouvelles chansons.
"Cool as Kim Deal", elle tient la scène sans problème avec une aisance incroyable. Les nouvelles chansons ont été écrites en partie lors d'un voyage au Texas et à la Nouvelle-Orléans. Son inspiration vient d'un "dude" qu'elle avait rencontré l'année dernière et qui s'est révélé en quelques mois "un vrai trou-de-cul". Peut-être est-ce cela qui l'a foutue en rogne, mais les nouvelles chansons sont d'une puissance impressionnante sur scène. Lisa faisait du "folk trash", ce soir-là, on est près de l'énergie des Pogues. Du punk avec banjo et violon, les dents pourries de Shane McGowan en moins.
Gaël Faure et son guitariste Vincent Brulin, qui sont dans un style très différent, se montrent impressionnant par la puissance de feu, l'énergie alliée à l'attitude décontractée de l'ancienne granbyenne d'adoption. Elle fait revenir sur scène tous les musiciens qui ont joué auparavant pour monter un "chorale acadienne" afin d'interpréter "Ma vie c'est d'la marde". Quelque personnes du public partent après le tube de Lisa, ils ont tort car elle terminera avec une belle version de "Kraft Diner" seule en scène. Une soirée résolument punk folk avec Lisa "she's got balls" Leblanc.
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