C’est là où la frontière entre l’imaginaire et le réel est aussi mince qu’entre l’horreur et la guerre que réside Sous le toit du monde de Bernadette Pecassou. Elle partage son temps entre le journalisme, la réalisation télé et l’écriture de romans pour Flammarion. Serait-elle le chaînon manquant entre réalité et fiction ?
Imaginons le cheminement du communiqué de presse au roman. 1er juin 2001, avant l’alerte aux barbus et aux tuniques, les journaux en mal de drame ont titré "massacre Royal au Népal". Vous n’en avez aucun souvenir ? Certes, l’info date un peu, et puis elle a été vite éclipsée par un manque d’information et l’Autre Catastrophe de 2001 (non, ce n’est pas l’Odyssée de l’espace, cherchez encore !).
Le Népal. Coincé entre l’Inde et la Chine, berceau de huit des plus grands sommets du monde (dont l’Everest), le pays est hiérarchisé en castes inflexibles et égoïstes, tributaires de Mao et de moult dignitaires peu recommandables. Fort de moult divinités et d’une caste dominante sans foi ni loi (enfin si, la sienne), Bernadette Pecassou nous livre l’autre facette du Népal touristique : l’injustice, le bafouage des libertés fondamentales, les traditions séculaires qui font office de loi…
Près d’un siècle après les Roumanov et le vilain Raspoutine, c’est le 1er juin 2001 que la famille royale népalaise fut massacrée au grand complet. Ne laissant aucun survivant pour alimenter une quelconque légende romanesque. Qui ? Pourquoi ? Mais pourquoi ? A ce jour, les coupables courent toujours.
C’est de ce drame qui l’a touché que Bernadette choisit de construire l’histoire d’Ashmi, jeune népalaise originaire d’une pauvre (et tristounette) caste des montagnes. Grâce au soutien de richissimes donateurs étrangers, elle fait partie des jeunes népalaises à accéder à l’éducation. Suite à l’intervention de Karan (élevé en Europe, et qui ne conçoit pas la culture népalaise comme un autochtone), Ashmi décide de devenir journaliste. Dangereux métier. Mortel même.
Pour comparer dans le scandaleux, la France compte moins de dix otages journalistes dans le monde, le Népal ne compte plus les journalistes froidement assassinés au quotidien. C’est en connaissance de cause et avec la fougue de sa jeunesse qu’Ashmi se lance dans ce métier. Soucieux de sa sécurité (femme + journaliste = 3 secondes de vie restantes), Karan l’envoie tout d’abord sur des sujets peu sensibles, voire carrément banals. Puis, un jour de disette ; tout le monde est occupé, Ashmi la seule dispo, elle va se retrouver sur le reportage de sa vie... Oui, ça se passe toujours comme ça. Là aussi, sauf que la suite diffère bien du déjà-vu. Je ne vous en dirais pas plus.
Tout le monde suspecte tout le monde, la féodalité la plus primate côtoie les idées démocratiques. L’ambiance n’est pas folichonne au Népal. Et pourtant, Bernadette Pecassou réussit à nous faire nous retourner sur le destin de ce pays situé juste sous le toit du monde. Entre plaidoyer pour l’égalité et la justice, vous ne pourrez pas rester insensible au combat d’Ashmi, de Karan et 30 millions de népalais croisés dans le livre. De quoi remettre à sa place notre égoïsme consumériste d’Européen pourri gâté. |