Comédie dramatique de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Sylvain Martin, avec William Astre, Pierre Derenne, Juliette Dutent et Florence Wagner.
Le bonheur existe-t-il ? Et la liberté ? Et l’envie de vivre ? Sait-on que l’on va se poser de telles questions d’abysse en répondant à l’invitation d’un inconnu à prendre un verre ?
Franz, vingt ans, jeune Apollon bâché, retrouve ainsi dans l’appartement bourgeois d’un homme mûr, Léopold, monsieur qui a des intentions et une stratégie imparable, et se laisse glisser vers le désir, en évoquant quelques garde-fous, sa fiancée, son hétérosexualité presque impeccable, mais l’adversaire renverse les pions un à un et l’on se retrouve nu sur le damier. Franz est ferré.
Quelques mois plus tard, domestiqué, soumis, le jeune homme fête, dans les larmes, cette demi-année de vrai bonheur trouble. Le gaz siffle. Qui agitera le briquet ?
Sur des airs de Lorelei, du "Messie" de Haendel, la tragédie banale de l’asservissement et de l’amour à deux vécu par un seul, se déroule implacablement, avec des visites de femmes, lourdes et conventionnelles, adipeuses en sentiments et optimistes comme la signature d’un contrat-obsèques, des mises au pas conjugales, des reproches acides du sadisme ordinaire, la révélation implacable de l’enfer intime de l’ennui et de l’usure.
"Gouttes d'eau dans l'océan" de Rainer Werner Fassbinder, pièce, désespérée et lucide, est mise en scène avec cruauté par Sylvain Martin, attentif et voyeur, qui nous pousse à partager sa longue-vue.
Les dames, Juliette Dutent et Florence Wagner, sont parfaites, terrifiantes, mornes à souhait, pitoyables. Le sexe féminin ne sera pas glorifié sur cette scène.
Quant aux messieurs, les protagonistes, la paire dantesque, il s’agit, d’abord, pour le chasseur, de William Astre, pervers nanti, épingleur de beaux papillons, effrayant de savoir-faire et de culture dévoyée, gênant de certitude, incapable de ressentir la douleur d’autrui autrement que pour en tirer sa jouissance particulière.
Mais la grande révélation, c’est Pierre Derenne, qui, outre sa beauté qui fustige, se révèle excellent comédien, présent et surnaturel, non sans évoquer un Jean Marais, tant il est solaire et agile, réinventant la nudité, jeune homme qui ira loin et dont le nom doit s’inscrire dans la mémoire. Il est un éblouissant Franz. Qui d’autre pourrait jouer ce rôle, désormais ?
Beau moment de théâtre, de qualité, d’excitante cruauté, ces "gouttes" colorent de sang l’océan gris des jours. |