L'exposition "Félix Vallotton - Le feu sous la glace" compte parmi les incontournables de la rentrée muséale 2013-2014 par son caractère exceptionnel en ce que, monographique et rétrospective, elle est consacrée à un peintre qui n'apparaît souvent qu'à titre "anecdotique" dans des expositions thématiques.
Elle permet de prendre la mesure de l'oeuvre prolifique et singulière d'un peintre dont chaque toile recèle sinon un mystère insondable du moins de quoi alimenter, et défier, les analyses psycho-esthétiques des critiques d'art et interpeller le visiteur en sollicitant son imaginaire de manière souvent déroutante.
Co-organisée par le Musée d’Orsay, la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, le Van Gogh Museum d'Amsterdam, le Mitsubishi Ichigokan Museum de Tokyo et le Nikkei Inc., cette exposition a été conçue sous le commissariat de Isabelle Cahn, conservateur en chef au Musqée d'Orsay, Guy Cogeval, président du Musée d'Orsay et du Musée de l'Orangerie et la Fondation Félix Vallotton à Lausanne.
Elle s'articule de manière chrono-thématique autour de dix axes proposant un fort parti-pris de lecture par une approche transversale des oeuvres appariées "par affinité.
De même, elle bénéficie d'une scénographie affirmée - élaborée par Sylvain Roca et Nicolas Groult - qui, avec des cimaises en épis mixant les camaieux de gris et le rouge rythment l'espace et joue sur l'antinomie induite par le titre de l'exposition.
Felix Vallotton : un syncrétisme pictural
au service d'une figuration narrative
Formé à Paris à l'Académie Julian, Félix Valloton a d'abord acquis une notoriété certaine avec ses gravures sur bois et ses illustrations en noir et blanc qui traduisent non seulement un talent émérite de dessinateur mais l'acuité du regard sur la société contemporaine, qu'il s'agisse des scènes de la vie parisienne ("Le joyeux Quartier Latin", "Le Bon Marché"), du charme discret des intérieurs bourgeois (la série des "Intimités") ou de son appétence pour la chair féminine ("Les petites baigneuses").
Se consacrant ensuite à la peinture, affilié aux Nabis, notamment par le choix d'une esthétique liée à l'absence de perspective et à la pratique des aplats de couleurs, il traite de tous les genres picturaux avec une manière singulière et tout à fait personnelle que la commissaire Isabelle Cahn explore à travers cent soixante-dix peintures qui, selon elle, "sous une apparence banale, lisse et froide des tableaux, [le peintre] dissimule une réalité trouble, des secrets de la vie intime, des drames et des silences".
Puisant ses références dans un éventail pictural qui va des maitres du Siècle d'or de la peinture flamande par la palette claire et la pratique du double regard ("Nu à l'écharpe verte") au maniérisme de Ingres en passant par l'estampe japonaise pour la composition insolite et la perspective de l’ukiyo-e ("Coucher de soleil", "Derniers rayons", "Clair de lune"), l'intimisme à la Vuillard ("La chambre rouge"), l'impressionnisme ("Le ballon") et même le futurisme ("La valse"), il livre une oeuvre surprenante et inclassable dont chaque toile surprend et interpelle.
La spécificité picturale de Vallotton tient notamment à la composition par assemblage, l'emprise du dessin sur la couleur avec la primauté de la ligne héritée de l'exercice de l'illustration, l'aplatissement de la perspective, l'aspect radical et irréaliste des ombres et lumières qui induit une certaine étrangeté et la pratique figurative qui ressortit à la mise en scène, et non au réalisme, pour une peinture narrative qui raconte une histoire de manière parfois elliptique qui est précurseur de par exemple de Edward Hopper et, plus contemporain, aux peintres de la "staged photography".
Tel est le cas par exemple avec les toiles comme "La loge de théâtre", retenue comme visuel pour l'affiche de l'exposition, "La chaste Suzanne", "La chambre rouge").
Jouant également de la dialectique de l'exibition et de la dissimulation, aussi bien dans les paysages que dans les natures mortes, c'est surtout dans le genre du nu et de la peinture d'histoire par laquelle il revisite à sa manière la mythologie, qu'elle se manifeste.
L'oeuvre de Félix Vallotton, que Léon-Paul Fargue décrit ainsi : "Deux hommes se répriment l'un l'autre en ce peintre : un amant et un critique, un sensible et un controleur implacable, un érotomane et un mécanicien-ajusteuré", manifeste une fascination janusienne pour le continent noir et deux sections sont consacrés au nu féminin.
L'une illustre "l'érotisme glacé" de Vallotton ("L'automne", "Nu couché au tapis rouge", Baigneuse de face").
L'autre aborde un des thème récurrents du peintre qu'est le double féminin qui peut laisser penser à sa curiosité pour le saphisme .("La Blanche et la Noire", "Le repos des modèles")
L'exposition se clôt par les xylographies sur les horreurs de la Première guerre mondiale, discipline à laquelle est revenu Vallotton.
Mais auparavant, le visiteur pourra prendre la mesure de la mythologie vallotienne dans laquelle il revisite de façon tragi-comique les relations entre les sexes en détournant les codes traditionnels
("L'enlèvement d'Europe", "Persée tuant le dragon").
Des toiles qui ne laissent pas indifférent puisque qu'entre leurs détracteurs qui n'y voient que des "croutes" et ceux qui soutiennent
la métaphysique picturale de Vallotton et la signification idéique de ses oeuvres, le débat est ouvert.
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