Comédie dramatique écrite et mise en scène par Noémie Fargier, avec Christelle Jacquaz, Mélanie Peyre et Charlotte Popon.
Le terme "recrue", désigne le nouveau membre d'un groupe, mais ceci d'abord dans le domaine militaire. Dans le cadre de l'entreprise, on emploie plus généralement le terme "collaborateur" ou "employé".
La pièce de Noémie Fargier s'intitule "Une recrue". Et même si les deux histoires n'ont aucun lien, on peut comparer ce titre à celui du film avec Al Pacino qui situe son action autour du nouveau flic, du bleu, interprété par Colin Farrell. La différence de l'article entre les deux titres, indéfini et défini, montre une intention différente des auteurs.
Noémie Fargier met le personnage de Jana, interprété par Charlotte Popon, au cœur de son dispositif d'écriture, mais ce personnage n'est pas en soi suffisamment singulier pour être le moteur de l'action. Jana est donc d'abord un simple petit rouage de la machine.
Dans le texte de Noémie Fargier, l'entreprise d'intérim pour hôtesses d'accueil où se déroule cette comi-tragédie, ce ne sont pas tant les compétences qui importent que l'exhibition enthousiaste d'une soumission sans faille.
Lors du recrutement de Jana, plus les test psychotechniques censés déterminer le degré de professionnalisme ou le potentiel de la candidate se donnent pour irrésistibles, plus faible est leur aptitude à provoquer l'adhésion volontaire de la jeune femme.
Ceci donne lieu à des scènes amusantes où Jana saute après des balles que lui lance, Agathe,la directrice de l'agence, tandis que Miriam, l'assistante de direction, prend des notes.
Noémie Farguier insiste, dans son texte, sur les mécanismes de déshumanisation de ses employées par Agathe : modification des noms, uniformes, surcroît de travail en soirée sous couvert de rendre service. Et la logique s'impose pour Miriam, l'assistante.
Avec l'arrivée de Jana, la part proportionnelle de son travail perd de sa valeur, son rôle dans l'entreprise devient interchangeable, il y aura toujours quelqu'un d'autre, quelque part, prêt à faire ce qu'elle fait pour un tarif moindre.
Christelle Jacquaz, dans le rôle d'Agathe, montre une grande assurance. Mélanie Peyre, Miriam, révèle avec finesse les fêlures qui apparaissent. Charlotte Popon parvient à occuper le centre du dispositif même lorsque son personnage est appelé à s'effacer.
La mise en scène de Noémie Farguier peut sembler parfois hésitante mais souligne l'état d'esprit des personnages de Miriam, en perte de repères, et de Jana lucide et désabusée.
Une recrue" montre donc efficacement comment, dans la société actuelle, la bataille pour la motivation a été perdue par les entreprises elles-mêmes. Ce à quoi les individus aspiraient naguère, comme le besoin de stabilité, la reconnaissance ou le plaisir de la réciprocité, sont dans le discours entrepreneurial, relayé par les médias tel la méthode Coué dénoncés comme des archaïsmes à combattre.
Désaffection, saturation, démotivation des salariés répondent à l'impératif sans cesse répété de la croissance. A pensée unique, désintérêt généralisé.
Le texte de Noémie Fargier est, en ceci, emblématique de l'étape en cours du développement économique que nous subissons : au moment où le capital global est venu à bout de tous les obstacles extérieurs qui l'entravaient, c'est un facteur interne, la désaffection des ressources humaines, sans lequel il n'est rien, qui vient le menacer. |