Brigitte Fontaine dans son dernier album J'ai l'honneur d'être fait la démonstration de son écriture plus acérée que jamais et d'une vigueur toujours plus neuve. Elle réussit une synthèse ambitieuse : parler de notre époque et quitter les rives pour rejoindre un continent universel de luxe et de volupté.
Notre demi-mondaine, notre clocharde princesse est resplendissante. Elle peint la laideur et la cruauté en poète et renverse les codes et les normes pour créer une profusion de sens et d'émotions. J'ai l'honneur d'être est une chronique détachée du temps, du présent à la bêtise au front de taureau comme dit Baudelaire. La traversée prend de nouvelles dimensions avec une bibliothèque sous la main. Baudelaire évidemment dans maintes évocations de préciosité, de dandysme dans une nature réenchantée et un désarroi d'Albatros aux ailes de géant. Brigitte veut des becs et pas des crocs, plus oiseau que mammifère, plus Icare que Minotaure. Les bals allument les désirs et le prétendant enflammé est gentiment éconduit : encore un Nemours qui reste sur le carreau : sa lettre brûlée avant que d'être lue. Rrose Selavy et les renoncements font aussi de bon roman, ah Princesse de Clèves bien prudente.
Nichée sur l'Ile Saint-Louis, elle est des beaux quartiers, enfin du bout des griffes, et au con d'Irène elle répond par un joli delta, blason/gazon de femme fatale au désir vivant. Les mots sont des bijoux indiscrets, dessous chics, dans le flou des gestes de Manet, le regard perçant. Brigitte nous parle de la permanence des mythes, en ciblant droit le système nerveux, fêtant le lexique, le français avec l'appétit d'une entomologiste. Un peu trop à l'étroit dans son époque, derrière une étiquette aussi petite qu'un timbre poste, Brigitte Fontaine a pourtant de quoi fasciner. Il suffit de s'arrêter sur "Les hommes préfèrent les hommes". Marivaux n'a pas dit autre chose dans l'Ile aux Esclaves. Car enfin nous avons des preuves : les photos des équipes de sport, de défilés/parades militaires, des conseils d'administration, du personnel politique, des groupes de rock, des enterrés au Panthéon, des collectifs d'artistes (surréalistes, Nouvelle Vague, Monty Python...).
Brigitte Fontaine est inflexible, incorruptible. Elle n'a jamais varié de ses principes : tendre avec les exclus et raide avec les escrocs. Elle ne dit pas autre chose dans "Au Diable Dieu", exaspération nuancée devant toutes ces guerres de chapelles et ces prétextes à la haine. Merle moqueur, merle railleur.
Cette exigence hors catégorie s'allie (avec deux ailes) à l'inventivité d'Areski Belkacem, qui compose et arrange la presque totalité de l'album. Jean-Jacques Vannier est venu apporter son coup de patte sur les deux titres : "La pythonisse" et "Les crocs", dans un respect profond pour l'univers de Brigitte Fontaine. Cette recherche formelle imprégnée des musiques du monde donne une saveur intemporelle à ce nouvel album.
J'ai l'honneur d'être est une oeuvre majeure. A bon entendeur. |