Le retour de Blood Orange avec un second album ne signifie pas que l’homme derrière le pseudonyme a été inactif, c’est même tout le contraire.
Dev Hynes a été vu et entendu partout en 2012, notamment aux cotés de Solange et du retentissant succès que fut le leur autour de l’EP True ou encore à la production du très réussi Everything is Embarassing de Sky Ferreira.
Mais Blood Orange reste pour l’homme l’occasion de développer tout un esthétisme sonique imaginé à partir de la sous culture new yorkaise, largement homosexuel, des "Ball" et immortalisé dans le documentaire Paris Is Burning.
Ce n’est d’ailleurs pas sans raisons, que la pochette de son premier album sorti en 2011 (Coastal Grooves), montrait une photo d’Octavia Saint-Laurent, l’un des personnages clés du dit documentaire. Et de voir l’artiste faire appel à un style vestimentaire proche des mouvances "Afro-chic" et d’exécuter des pas de danse inspirés du "Voguing", deux éléments qui sont eux aussi massivement présents dans les "Ball". Cupid Deluxe s’inscrit dans la ligne directe de son prédécesseur, mais on y découvre aussi une nouvelle profondeur et surtout un style qui s’affirme complètement.
De fait, ce nouvel album devient à la fois un opus éminemment classieux grâce à présence de guest tels que David Longstreth (Dirty Projectors) ou de Caroline Polachek (Chairlift) mais qui trouvera aussi le moyen de rythmer doucement vos belles soirées en empruntant les paillettes de la fin des années 80 / début 90 (rappelant par intermittences un Prince ou un MJ), mais aussi un album qui au-delà de la couleur pastel de sa pochette recèle une part d’ombre.
Une ombre qui pourra, par exemple, prendre forme sur les paroles du titre "Uncle Ace", référence directe aux lignes A, C et E du métro new yorkais, refuge et dortoir précaire des jeunes LGBT en déperditions. Et c’est ici que le charme de Dev Hynes réside. Non seulement celui-ci se pose comme un homme sensibilisé aux souffrances des minorités mais fait aussi largement usage du thème universel du cœur brisé.
En faisant appel à ses guitares et ses synthés exportés depuis les années 80, l’artiste mâtine ses chansons d’un air indéniablement respectable, alors que sa propre voix au modulo léger et hermaphrodite, réussit à conduire chaque oreille sur un terrain où la nostalgie prend des accents autant familiers qu’inédits. Ce tour de force dichotomique, son premier single "Chamakay" le répétait en alliant sensualité et chaleur à un chant onirique, presque absent. Même recette pour le titre "Uncle ACE" mentionné plus tôt, qui insiste sur une production pleine de chaleur et de vie et qui s’oppose aux lyrics évoquant une situation difficile. Dans les deux cas, Hynes trouve le moyen d’insuffler des mouvements organiques à ses deux titres, notamment grâce à l’intervention judicieuse d’un saxophone. Ailleurs, des titres comme "Time Will Tell" et "Chosen" réussiront avec leurs puissantes percussions à marquer l’artiste et son chant comme une âme sensible et légèrement anachronique, explorant les limites entre la musique à vocation romantique et celle rythmique.
Dev Hynes prouve avec Cupid Deluxe qu’il s’est construit un univers à fleur de peau, naviguant entre un romantisme au charme naïf et une connaissance intime d’un groove aux accents un tantinet érotique. Cocktail détonnant et alliance incongrue, si l’album ne garantira pas de grands émois à tous, il devrait au moins être capable de vous donner quelques frissons. |