Rien sur scène. Juste le noir. - Il n'a pas de prénom ? - Si… deux. Yvan Marc.
Il est seul. Il entre. Puis ils sont quatre. Ça bosse en bande, ça produit. C’est un besogneux Yvan Marc, un maraîcher de couplets bien mûrs, un laboureur de chants, un travailleur aux grands airs. Avec son GAEC banjo, percu, guitares, il s’associe à Carotte prod - pour une production locale hors du cumin - et directement aux consommateurs, sa belle cerise se retrouve vendue dans les paniers culturels de l’association InOuïe Distribution. Antoine et Johnny peuvent aller se faire tondre. Pas de cheveux, circuit court. Les locavores sont heureux.
"C’est la cerise sur le dos de ceux qui se tuent au boulot, pas de repos pour les petits, c’est ainsi."
Si La Cerise est sa récolte de l’année, n’oublions pas La grève et A bout de bras, ses albums précédents, ses collaborations, avec Mickey - 3D - Furnon entre autres et de la scène depuis 15 ans. Ainsi avec Yvan Marc, la soirée est lancée. Les titres s’enchaînent et c’est plaisant. Yvan Marc, c’est une écriture pas dégueulasse, qui s’amuse de sonorités dans les jeux de mots. Son phrasé reconnaissable donne du caractère au chant. Les mélodies rock terroir, si elles ne resteront pas au panthéon des aubades immortelles, n’en sont pas pour autant fastidieuses et servent le lien au texte et à l’interprétation. Les entre chansons fonctionnent, le public, bon public accroche.
Le spectacle se déroule sans anicroche ni coup d’éclat, on passe un bon moment et c’est déjà ça. Certes, c’est un peu laborieux parfois, les ficelles sont un peu grosses quelquefois, mais ça fonctionne ! Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. A défaut de mettre tout le monde d’accord en imposant un univers scénique indiscutable, Yvan Marc, à la force du poignet, va chercher son public. Celui-ci se laisse prendre, et s’en égaie ! Que demande le peuple ? Au final, une belle prouesse pour une belle première partie de soirée.
Ne nous y trompons pas, Yvan Marc ferait tout aussi bien une belle tête d’affiche. Ses talents cités éclateraient comme autant d’évidences et les faiblesses resteraient bien facilement dans l’ombre. Oui mais voilà, nous avons beau nous vautrer dans l’utilisation outrancière du présent de l’indicatif, les instants chroniqués le sont a posteriori, une fois la soirée passée… et la soirée de ce jour se conclut par une seconde partie, de celle qui fausse les boussoles, font perdre le Nord et efface tous les repères.
Son aura le précède, il la suit à quatre pieds, les mains chaussées de mocassins qu’il abandonnera sur scène, pour s’accrocher à son pied de micro comme à une contrebasse, penché en avant, nonchalamment victime de la gravité et, sans un mot prononcé, dans une simplicité toute maîtrisée, il chante, paupières à demi-closes, Thomas Fersen chante et met tout le monde d’accord.
Bien sûr techniquement la prestation est parfaite. Comme toujours le son est remarquable, chaque note se détache, trouve sa place dans l’harmonie et la voix se pose. Au-dessus, intelligible, cette voix au grain symptomatique, pas forcée mais comme sculptée par les années qui assèchent, les manques qui étranglent et les excès qui affaissent, cette voix, entoure chaque spectateur et lui murmure à l’oreille son concert, son Thomas Fersen.
Chacun est venu voir son Thomas Fersen. Combien y en a-t-il ? Autant que d’albums, autant que de tournées, que de chansons préférées, que de souvenirs de concerts… autant que de spectateurs. Alors le tour de force est de réconcilier ces Fersen. L’expérience parle. Portés par le complice de toujours à la guitare, Pierre Sangra, et s’appuyant sur l’esprit du dernier album, les arrangements de cette tournée font le lien entre les nouveaux morceaux qui ouvrent et referment le set et les titres phares de la carrière déjà conséquente du monsieur. "Louise" croise "La Chauve-souris", "Hyacinthe", "Pégase", "Zaza", "Le Balafré" et les tubes de Pièce montée des grands jours…
Mais bien au-delà de la balade au sein de l’œuvre, la grande communion fonctionne grâce à la formule proposée. Par un savant dosage de rapprochement avec le public et de distance alternée, Thomas Fersen aime posséder et se faire désirer. Quitte à saluer et vider la scène au bout d’une heure de spectacle.
Bien sûr tout le monde s’attend à un rappel, mais pas forcément à trois, puis quatre puis… bref au final, personne n’aurait parié sur ce spectacle de deux heures et quart, spectacle au rythme maîtrisé de bout en bout, dans ses respirations comme dans ses pointes les plus énergiques. Chaque retour sur scène est une nouvelle proposition. Solo piano voix. Duo avec Pierre Sangra. Six musiciens en fanfare… et Fersen, pluriel. Nonchalant, vacillant, bovin, dansant, vintage, charmeur, torrentueux, énigmatique, juste, drôle, inébranlable… C’est un roc.
Bien sûr techniquement la prestation est parfaite, mais l’intérêt réside ailleurs et la réussite ne tient pas à cela, loin s’en faut. L’intérêt de voir, revoir et revoir encore ces artistes à la carrière déjà longue est de sentir, tournée après tournée, s’exprimer l’œuvre, dans son naturel le plus brut.
Evidemment, il faut se nourrir de nouveautés, chercher les découvertes, promouvoir la scène émergente, mais comme une expérience à suivre dans la durée, il faut aussi regarder ces bêtes de scène évoluer. De date en date, l’univers Fersen prend le dessus. Pas de décor pharaonique, pas de costumes fabuleux, mais le monde de Fersen qui vous tombe sur le coin de la gueule au premier morceau et dont vous vous libérez au plus tôt à l’extérieur de la salle, plus tard dans la nuit.
Thomas Fersen ne transige pas, ne gère pas son show en bon technicien de la scène, mais crée son univers, de mots, de lumières et de notes, démiurge sur les planches. Tout est naturel mais rien n’est laissé au hasard. Un sourire, une poésie et un pas de danse et son monde est convoqué en grande pompe.
En grandes pompes, du quarante et un dans de l’anguille. Une à chaque main. Noir sur scène.
Il a un prénom. Il s’est fait un nom. La classe !
"Écartez-vous la populace,
Regardez-donc qui c'est qui passe,
C'est Joe-la-Classe." |