Tony O'Neill connaît bien l'inframonde de la drogue, les bas-fonds des "sick cities" post-modernes et le quotidien du junkie uniquement rythmé par le fix par expérience personnelle de la descente en enfer qu'il a relaté dans "Du bleu sur les veines".
Drogué "repenti" sauvé par l'amour et musicien reconverti dans l'écriture, il en a fait son fonds de commerce
et la toile de fond de "drug-trips" fictionnels qui fleurent méchamment le vécu.
Ecrivain anglais installé aux Etat-Unis né en 1978, il appartient littérairement à la deuxième génération, après celle des Dan Fante, Mark Safranko et Jerry Sthal rescapés des addictions mortifères qui aspirent à reprendre le flambeau des écrivains déclassés et imprécateurs du rêve américain en se plaçant sous l'égide des figures tutélaires de la triade culte des Selby-Burroughs/Bukowski.
Sa singularité tient à l'hybridation d'un ultra-réalisme trash - qui ne rechigne pas au sordidisme - et une forme d'ingénuité en la croyance en la rédemption par l'amour, humain ou mystique, qui se traduit par un happy end hollywoodien.
Une ingénuité au demeurant équivoque dans la mesure où, d'une part, elle ne paraît pas pouvoir résoudre, sur le long terme, ce qui semble, selon lui, l'origine du mal-être existentiel qui tiendrait à la quête, par le recours aux psychotropes, d'une vie libre dans une autre dimension temporelle ("Fuir le temps c'est peut-être ça au fond qu'il cherche depuis toujours au fond de la drogue").
D'autre part, parce qu'elle sert de fondement à un certain militantisme pour la libéralisation des drogues et le boycottage du traitement institutionnel de la toxicomanie.
Dans "Black Néon", il raconte le périple de plusieurs personnages en perdition, plongés dans la drogue et/ou l'alcool dès l'enfance et englués dans un processus autodestructeur, qui croisent la route d'une sorte de cavalier de l'apocalypse qui se révélera l'instrument d'une révélation intérieure.
Ce cavalier, portant catogan, "une queue de cheval noire et graisseuse" et bandeau sur l'oeil gauche en hommage au cinéaste Nicholas Ray, est un quadragénaire français inféodé au sexe et aux drogues de toute sorte.
Fils d'un armateur milliardaire, il tue le temps en expériences "limites" et, "artiste" dilettante aimant les sujets scabreux et morbides, il s'est fait connaître dans le passé comme photographe et réalisateur d'un seul film devenu culte. Et après une longue éclipse, attendant "le bon moment", il se décide enfin à tourner son second film, dont le titre sera "Black Néon", un "drug movie" - du genre "Panique à Needle Park" version cinéma vérité - avec lequel il entend "niquer" Hollywood en le tournant à Los Angeles "chez les camés avec de vrais tox comme acteurs".
Et ce personnage, largement inspiré de Larry Clark dont le premier travail a consisté à photographier un groupe de jeunes drogués ("Tulsa 1963-1971"), va rencontrer la brebis galeuse d'une dynastie qui a bâti son empire dans le cinéma qui vient de décrocher des amphétamines, puis un "junkie irlandais à la peau diaphane" et aux veines explosées, vivant d'expédients et maqué avec "un travelo noir comme du charbon qui n'a plus que la peau sur les os" qui se prostitue.
Et enfin, "une blanquita gaulée comme une bombasse de magazine porno", junkie et prostituée en cavale à la "Thelma et Louise" avec Lupita, latina manchotte au visage de déesse aztèque, braqueuse de pharmacies à la gâchette facile et adepte de magie noire.
Entre violence, frénésie sexuelle et déchéance, tout est glauque et pathétique, comme sans doute dans la "vraie" vie du toxicomane en fond de cale, et conforme aux codes du registre de la "Dope Fiend", sans pour autant, à défaut de psychologie des caractères, aller au-delà du vérisme propre au docu-fiction.
D'autant que le lecteur français n'y trouvera pas, sans doute en raison du lissage inhérent à la traduction, l'écriture poético-punk attribuée à l'auteur - membre fondateur du mouvement littéraire du "brutalisme" prônant un néo-naturalisme "brut" pour s'inscrire à contre-courant de la littérature mainstream.
Par ailleurs, et peut-être de manière confortative à ce déficit d'incarnation, et truffé d'emprunts cinématographiques évocateurs, l'opus bien boutiqué comporte une trame éminemment scénaristique qui semble laisser bien constituer un appel du pied au 7ème art. |