Comédie dramatique d'après l'oeuvre éponyme de Fiodor Dostoïevski mise en scène par Benjamin Knobil, avec Dominique Jacquet, Loredana von Allmen, Romain Lagarde, Mathieu Loth et Frank Michaux.
Avec l'adaptation et la mise en scène de Benjamin Knobil, la Compagnie nonante-trois basée à Lausanne livre une belle et réussie version théâtralisée du roman "Crime et Châtiment" de Dostoïevski ce qui n'est pas une mince affaire.
En effet, Benjamin Knobil a réussi le challenge de concocter une partition théâtrale avec une vraie intensité dramaturgique.
Resserrée autour des principaux protagonistes, de la crise morale vécue par le personnage central de Raskolnikov et des thèmes de la violence sociétale, de la folie et de l’angoisse métaphysique, elle permet une approche dynamique et didactique d'une oeuvre dense et complexe annonciatrice de l'existentialisme.
Issu d'une famille désargentée, Raskolnikov, ex-étudiant qui vit chichement d'expédients et honteusement des subsides maternels, tue et vole une usurière, qui représente pour lui la lie de la société qui exploite les pauvres, acte qui, sous couvert d'un meurtre crapuleux tient tant de l'acte gratuit que de la révolte nihiliste et de la tentative de se prouver qu'il possède la force d'esprit des hommes d'exception qui les place au dessus des lois.
Mais, loin de lui apporter une satisfaction intérieure et des subsides qu'il donne à une famille miséreuse, cet acte l'entraîne, tourmenté par la culpabilité et un désespoir délétère, dans une fuite éperdue au bord de la folie avant d'accepter le juste châtiment des hommes.
La réussite ce spectacle tient à la réflexion et à l'intelligence qui ont présidé à sa conception et qui se manifestent dès les premières minutes par la scénographie qui fait de la contrainte de la pluralité des lieux narratifs et du recours à la tournette non seulement une solution technique pour multiplier les espaces scéniques, mais un élément substantiel du spectacle.
En effet, cette mini-tournette qui s'accommode des plateaux les plus exigus - et il y a lieu à saluer la prouesse imaginative de Jean-Luc Taiffefert et Stéphanie Lathion inspirés par l'esthétique, l'économie de moyens et les clairs-obscurs des "filmarchitekte" du cinéma expressionniste allemand - constitue une pertinente métaphore de l'espace mental du personnage central et ses espaces étriqués correspondent également à l'univers sclérosé de l'intrigue.
Par ailleurs, son rythme rotatoire est dicté tant par les accès de fièvre que les visions cauchemardesques du héros et s'accélère au fur et à mesure que les mailles du filet judiciaire se resserrent autour de ce dernier. Avec les lumières adéquates de Laurent Nennig et l'habillage sonore de Jean-Pascal Lamand, qui est de l'ordre non du parasitage illustratif mais de la nécessaire utilité, l'ensemble est remarquable.
Ne versant ni dans le larmoyant pathos slave ni dans le pittoresque misérabiliste, la mise en scène de Benjamin Knobil est soutenue par une rigoureuse direction d'acteur et la partition est dispensée par une distribution restreinte, judicieuse et talentueuse de cinq comédiens dont quatre sont, de surcroît, capables d'enchaîner plusieurs rôles de manière convaincante et crédible.
Dominique Jacquet, avec un jeu au cordeau, et Loredana Von Allmen, lumineuse, incarnent avec justesse, et respectivement, les différentes figures féminines de mère et de jeune fille tout comme Mathieu Loth assure avec justesse aussi bien le rôle de l'ami que celui du policier violent, et Romain Lagarde, qui réussit une superbe prestation dans le rôle du juge d'instruction qui évoque, sans la caricaturer, la fausse bonhommie naïve de l'inspecteur Columbo.
Quasiment toujours sur scène, Frank Michaux, à qui revient la lourde tâche d'incarner la figure archétypale de la jeunesse en quête de sens, éprise de pureté et d'absolu et confronté à la réalité d'une société en décomposition, manifeste une maturité et une intériorité de jeu impressionnantes. |