Une jeune auteure pour ce titre à rallonge : Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman. La plupart du temps, ce genre de titres laisse présager un roman humoristique, ou un roman tellement simplet qu’une phrase le résume tout entier. Ce qui n’est pas le cas ici.
Mais avant de commencer, parlons un peu de Kerry Hudson, l’auteure en question. Originaire d’Aberdeen (en haut à droite de la péninsule Angliche : les brumeuses plages écossaises), elle a grandi entre location HLM, Bed and Breakfasts et campings. Elle vit actuellement à Londres.
Oui, c’est exactement là que je voulais en venir : elle sait de quoi elle parle. Je soupçonne même le roman d’être une autobiographie incarnée par Janie Ryan, jolie petite chose née au milieu des cris et des injures.
Le roman est certes un témoignage rare, parce qu’il est clair, linéaire, intro et extraspectif (comment ça, ce mot n’existe pas encore ?). Parce que le lecteur est tantôt dans les pensées des personnages, tantôt observateur extérieur de la scène auquel il n’est pas forcément convié (ça gâcherait l’intimité du moment). Le mauvais côté, c’est que le roman réaliste ne laisse pas beaucoup de place aux retournements heureux, ni aux happy ends.
Avec une grande pudeur, Kerry Hudson retrace les premières années des enfants nés sous une mauvaise étoile, ceux qu’on plaint, ceux qui nous font relativiser sur notre grasse condition et notre enfance entrecoupée de caprices et de sorties piscine.
Oui mais non. Parce que si vous demandez à Jodie Ryan si elle est malheureuse, si vous lui tendez ce que votre bonne âme pense devoir être indispensable (et par conséquent lui manquer cruellement), cette dernière vous jettera un regard de travers et vous affirmera (droite dans les yeux) qu’il ne lui manque rien, et qu’’elle est très heureuse. Non mais.
Et ce ne sera pas un mensonge, loin de là. Evidemment, elle caresse l’idée d’une vie meilleure, mais pas forcément de la vie d’une poule de luxe vautrée dans un canapé design, qui ne cuisine même pas dans son intérieur en marbre blanc, le dressing débordant de vêtements qu’elle ne portera plus jamais.
Jodie est élevée par sa mère, qui fait ce qu’une mère fait le mieux : de son mieux. Et ce que sa mère avant elle avait fait pour elle : de son mieux. Malgré les trafics en tous genres qui égaient son quotidien, Irene Ryan (la maman) aime Jodie, la place au dessus de tout, pense à elle avant de prendre une décision.
C’est pour elle qu’elle trouve la force de déménager dans les premières années de la vie de Jodie. Plusieurs fois. Tellement souvent. C’est pour elle qu’elle vit avec un pauvre type violent et macho. Pour avoir "un papa". C’est pour elle qu’elle se cache de ce pauvre type
Mais la vie est dure avec elle, comme un fait exprès.
Kerry Hudson sait de quoi elle parle, et elle en parle bien, fort bien même. Loin du roman social, Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman serait un ragoût d’entrailles qui sent le Givenchy. Ni cynique, ni larmoyant, sans pitié ni mauvaise fois, le roman est bourré de ce petit truc en plus qui manque à trop de monde : l’espoir, dans toute sa beauté, sa splendeur, son optimisme bienveillant (et un peu naïf oui). Mais qui a dit que le destin était déjà tracé ? J’en mettrai ma main à couper au feu que le canapé design n’y est pas pour rien. |