Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Alexandre Pouchkine, adaptation et mise en scène de Rimas Tuminas, avec Anna Antonova, Vladimir Beldian, Maria Berdinski, Yulia Borisova, Maria Chastina, Viktor Dobronravov, Lilia Gaïsina, Galina Konovalova, Liubov Korneva, Ekaterina Kramzina, Yuri Kraskov, Eugenia Kregjde, Velima Kutavichute, Polina Kuzminskaia, Alexei Kuznetsov, Olga Lerman, Oleg Makarov, Serguei Makovietski, Ludmila Maksakova, Elena Melnikova, Olga Nemogai, Daria Odinokina, Valery Ouchakov, Maxim Sebrinovski, Yuri Shlikov, Ruben Simonov, Vassili Simonov, Ekaterina Simonova, Alexander Soldatkin, Dimitri Solomikin, Alexandra Tcherkasova, Anastasia Vassileva, Vladimir Vdovichenkov, Natalia Vinokurova et Maria Volkova.
Les amateurs d'un certain classicisme théâtral, les spectateurs russes ou d'ascendance russe, les russophones et les passionnés de littérature russe ne rateront pas le spectacle dispensé par la troupe du Théâtre Vakhtangov, le plus illustre de la capitale moscovite, en tournée française avec "Eugène Onéguine" monté par son directeur, le metteur en scène lituanien Rimas Tuminas.
La partition est constituée par la transposition scénique du roman éponyme considéré comme un chef d'oeuvre écrit au début du 19ème siècle par Alexandre Pouchkine, figure majeure du siècle d'or de la littérature russe, un roman singulier et novateur en ce qu'il est versifié, et dans lequel il décline "à la russe" les thématiques du romantisme qui essaima en Europe.
Spleen, amour raté et regrets rétrospectifs, trahison et remords tardifs président au destin du personnage-titre. Au cours d'une retraite à la campagne, Eugène Onéguine, dandy oisif atteint du fameux mal du siècle, se lie d'amitié avec le jeune poète Lenski qui l'introduit auprès d'une famille de la petite noblesse provinciale chez qui il est tombé amoureux de la fille cadette la belle et expansive Olga.
La seconde des soeurs, Tatiana l'introvertie taciturne et réservée, s'éprend immédiatement d'Onéguine qui l'éconduit tout en séduisant Olga ce qui se conclut par un duel avec Lenski au cours duquel ce dernier est tué. Onéguine fuit, Olga se console vite et Tatiana accepte un mariage de raison. Des années plus tard, il retrouve Tatiana à qui il avoue son amour qui sera sacrifié au nom de la fidélité conjugale.
Rimas Tuminas présente un travail d'autant plus exceptionnel qu'il revêt des allures de "curiosité" au regard de la production théâtrale actuelle, non seulement par son impressionnante distribution, plus d'une trentaine de personnes dont un corps de ballet, ce qui est au théâtre contemporain ce que la superproduction est au cinéma d'auteur, mais par une mise en scène de la pièce "dans son jus", sans contextualisation, avec une grande fidélité à l'oeuvre originale et dont la seule concession à l'audace post-moderniste tient à la duplication, à deux âges de la vie, des deux personnages masculins principaux.
Dans une scénographie très épurée et esthétisante de Adomas Yatsovskis, un décor évoquant une classe de danse avec son grand miroir incliné et inclinable en fond de scène propice aux intermèdes délivrés par un choeur de ballerines, Rimas Tuminas opte, pour ce théâtre narratif composé de soliloques, pour un traitement pictorialiste propice aux belles images qui parfois ressortissent au merveilleux.
Avec des codes de jeu aux antipodes du jeu naturel, mais en résonance avec le style de l'écriture originale, qui puisent dans la déclamation frontale, le lyrisme sensible et le sens du tragique attribué à la mythique "âme russe", c'est de l'opéra sans chant lyrique, c'est de la danse sans ballet, c'est du théâtre mais avec peu de scènes dialoguées. C'est de la poésie portée sur scène.
Dans ce registre et pendant plus de trois heures avec entracte, le jeu des comédiens, tous au diapason, est sans faille. Et pour ceux qui ne peuvent savourer le texte dans la langue originale, il a été retenu pour le surtitrage une très belle traduction signée André Markowicz. |