"Les O’Brien a été très bien accueilli par la critique au Canada et aux Etats-Unis". Il serait donc fort mal à propos de ne pas en faire autant. Oui mais… Non, pas maintenant, j’y reviendrai plus tard.
Peter Behrens est issu de la génération de mes parents, il a donc ma tendresse toute accordée. Ils ont profité de l’insouciance avant Sida et de la sagesse après barricades-soixante-huitardes. Peter est né et a grandi à Montréal, et pas la peine d’avancer bien loin dans son roman Les O’Brien pour percevoir la qualité des retranscriptions paysagères. Il aime ce pays.
Les O’Brien commence en 1887, au fin fond du Canada, dans le comté de Pontiac, Québec. Joe O'Brien, l’aîné d’une famille modeste devenu chef de famille après la disparition du paternel. Un peu caricaturé dans l’image du grand frère ultra protecteur à la sensibilité cachée, qui pète (à juste titre) la tronche du beau-père monomaniaque du violon parce qu’il s’approche un peu trop près des petites sœurs.
Joe n’est pas seulement un gros dur au cœur tendre et aux lourdes responsabilités, il a un sens des affaires que ne renierait pas un trader en mal de zéros sur son salaire. Il fait fleurir le business de la coupe de bois de papa de manière à pouvoir mettre toute la famille à l’abri du besoin. Jusqu’à ce que la Mama décède.
Arrivée deux générations plus tard que les circonstances de l’époque, je n’aurai pas manqué de contester la décision. Joe envoie tout le monde au cloître (séminaire pour le frère, couvent pour les filles), et s’en va courir le monde, à l’autre bout du pays, il paraît qu’on y construit des chemins de fers. Son nez creux flaire le business, son esprit rassuré par la fratrie à l’abri des dangers du monde. Notre société d’hypocondriaques n’aurait pas manqué de lui envoyer un psy dans les pattes, histoire de démêler ce traumatisme. Mais là n’est pas la question.
Il rencontre la charmante Iseult, fragile poupée californienne qu’il épousera promptement et qu’il aimera à sa façon. Traversant les épreuves et les traumatismes d’une vie pas toujours généreuse, ils auront des enfants, qui grandiront, qui se marieront, qui se resserreront après le jeudi noir, qui iront au champ de bataille, qui revendiqueront la liberté, qui rêveront de plomber les boches avant de s’en retourner blessés.
Confucius disait un jour : "Notre plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de nous relever à chaque fois". Je crois que le destin des O’Brien illustre parfaitement cette sagesse. Ils relèvent la tête à chaque difficulté, à chaque malheur, puisant dans la force et l’amour familial incarné par Joe, leur Maître Yoda à tous.
Au-delà de l’histoire d’une famille au destin ressemblant à tant d’autres, Peter Behrens réussit à nous faire aimer le Canada et le Nord Américain presque autant que lui. Mais le roman est aussi le témoignage d’une époque à jamais révolue, où les difficultés semblent peser plus lourd que nos tracas quotidiens, où les choix semblent plus définitifs, où les rencontres ne se cachent pas derrière l’hypocrisie d’un écran.
Les O’Brien est tissé de sincérité, d’imperfections ô combien humaines, de choix, d’amour, de passé, de nostalgie, de prise de risque et d’aventure. D’aventure d’une famille, d’un pays, d’une autre époque. |