Olga Grjasnowa vient de loin. Au sens propre. Elle est née à Bakou, en Azerbaïdjan. Et pour ceux à qui ça n’évoque qu’un des innombrables morceaux d’Afrique, sachez que votre géographie laisse à désirer. Partons de la France, va tout en bas, tourne à droite et continue, direction La Turquie. Entourée de la Syrie, l’Iran, l’Irak, l’Arménie. Tu vois où je veux en venir ? L’Azerbaïdjan est par là oui, collé entre l’Arménie et la mer Caspienne, république indépendante depuis 1991. Un tout jeune pays (pote avec les ricains bien sûr).
Où s’arrête l’autobiographie ? Où commence la fiction ? Pas besoin de le savoir pour saisir le sens du roman Le russe aime les bouleaux. Olga Grjasnowa vit en Allemagne depuis 1996, elle avait 12 ans. Elle ne garde donc de son pays natal que les souvenirs les plus traumatisants et les plus belles joies innocentes de l’enfance (si elle en a eu, dans un pays en guerre ce n’est jamais facile.) Et c’est ce qu’elle raconte à travers le parcours d’une jeune Mascha en deuil qui file en Israël pour soigner son chagrin.
Cette partie de géopolitique ne figurait pas dans mes manuels d’histoire, et j’étais un peu jeune pour en comprendre les rouages et les subtilités. Je me souviens de la chute du mur de Berlin en 1989, fin officielle de la guerre froide, début de la suite pour d’autres. L’Azerbaïdjan saute sur l’occasion et prend son indépendance en 1991. Ce qui n’est pas du goût des Arméniens du Haut-Karabagh (ou un peu trop de leur goût) parce qu’ils veulent eux aussi leur indépendance (parmi tout un tas d’autres trucs), déclenchant une guerre en Azerbaïdjan même (jusqu’en 1994, date d’une trêve négociée par la Russie). C’est le conflit religieux-communautaire qui maintient la haine entre les parties : juifs, arabes, turcs… Un mépris inépuisable qui conduit à des massacres, des meurtres et des exécutions, une somme de traumatismes que les Azerbaïdjanais ne peuvent oublier.
La plupart des peuples du coin ont émigré en Allemagne, où ils sont également victimes de préjugés racistes et violents. Mais l’Allemagne n’a pas succombé à la farce du débat "identité nationale"… (Elle !) Mascha vit donc en Allemagne depuis un moment, elle parle couramment 5 langues, car elle projette de travailler aux Nations Unies. Mais son petit ami meurt prématurément d’une embolie pulmonaire suite à un banal accident qui tourne au cauchemar (et des soignants incompétents ?).
Déjà qu’elle ne semblait pas très tranquille dans sa tête, voilà qu’elle décide de filer en Israël, loin de tout, pour se guérir par l’éloignement.
Le russe aime les bouleaux… La signification du titre m’échappe. Le roman semble être un exutoire thérapeutique à la perte de l’être aimé, à la brutalité d’une mort subite, à l’étape machin du deuil. Le roman a été salué par plusieurs critiques, et a été finaliste du Goncourt Allemand. Parce que le sujet traité est sensible et dérangeant. Nous, la vieille Europe, ne sommes-nous pas un peu responsables de ce qui se passe dans la tête de Mascha ? Et qu’avons-nous à lui offrir en échange ? Même pas une place décente dans notre partie.
Par les questions qu’il soulève, par l’avènement d’une génération brisée par la folie des hommes en mal de pouvoir, par la gêne proche de la honte qu’il insuffle, le roman d’Olga Grjasnowa est un témoignage douloureux et pudique du monde de la génération après "Mur", bercé de "c’était mieux avant", pas facile d’avancer. |