Monologue dramatique de David Léon dit par Thomas Blanchard dans une mise en scène de Hélène Soulié.
Le soliloque de "Un Batman dans ta tête", premier opus dramatique de David Léon, qui explore de l'intérieur les ravages de la maltraitance psychologique chez l'enfant, se révèle une véritable partition littéraire aussi atypique et complexe en la forme que tragique et bouleversante sur le fond.
Complexe car ce qui paraît ressortir du "simple" flux de pensées est en réalité une construction textuelle qui repose sur le principe de la fragmentation avec une pluralité de structures narratives, du monologue aux bribes de dialogues, assemblés selon une combinaison puzzléique, le mélange des temporalités avec un télescopage du présent, du passé par la réminiscence et d'un futur rétrospectif, et la confusion entre le réel, la réalité et l'imaginaire, qu'il naisse du rêve ou de l'hallucination psychotique.
Cette forme, porteuse d'une inquiétante étrangeté, rend compte des différents états de conscience du "narrateur" et notamment de la dissociation psychique dont il est atteint et qui paraît parfois volontaire pour tenter de vivre, d'exister et de construire dans ce qui est un désert affectif qui mène à l'anéantissement de soi.
Au fond, la thématique est traitée au-delà du drame familial - il y a le père faible qui connaît le sens des mots, la soeur aînée, "une fille sauvage" qui partir vivre ailleurs, la mère nommée "la femme qui ne voulait pas être la maman" et le fils, l'enfant monstre, l'enfant-fou, et puis les cris dans la maison et l'absence d'amour - pour explorer l'espace mental d'un jeune garçon en quête, celle de "ressentir l'émotion", pour tenter de vivre, d'exister et de se construire.
Le texte, magnifique et violent rend compte tant de la confusion de la personnalité, l'enfant s'identifie à une figure héroïque, le Batman du jeu vidéo, que de son dédoublement voire voire du détachement de soi, l'enfant qui ne dit jamais "je" mais parle de lui comme d'un autre nommé par son prénom ou simplement par le pronom indéfini anonyme "on".
Dans la scénographie conçue par Emmanuelle Debeuscher, les lumières oppressantes de Maurice Fouilhé se focalisent sur une baignoire noire face à un miroir incliné qui duplique le corps de l'enfant qui y est immergé presque en position foetale. Et il parle à son image, puis se tourne pour raconter à l'autre, invisible, tapi dans le noir de la salle.
Sous la direction de Hélène Soulié et au terme de ce qui ne peut être qu'un colossal travail sur le verbe, c'est Thomas Blanchard qui porte la parole de celui qui erre en dehors de son corps.
Excellent comédien métamorphique qui récemment composait un hallucinant Howard Hughes dans "American Tabloïd" pour enchaîner avec un looser complexé ambitionnant d'accéder à la gouvernance suprême dans "Le Prince", il réussit une saisissante incarnation. |