Comédie de Jean-François Prévand, mise en scène de Jean-François Prévand et Jean-Luc Moreau, avec Jean-Paul Farré et Jean-Luc Moreau.
Créé en 1991, "Voltaire Rousseau" est une pièce que Jean-François Prévand a souvent reprise et avec toujours le même succès. Cet échange à fleurets peu mouchetés entre les deux phares des Lumières est en effet désormais un classique.
La version qu'il met en scène avec Jean-Luc Moreau est désespérante pour un critique qui aime chercher la petite bête : comment, par exemple, dire du mal d'un spectacle sur les Lumières éclairé par Jacques Rouveyrollis ?
Comment ne pas trouver sublime le costume blanc agrémenté d'une magnifique écharpe jaune de Jean-Paul Farré et très expressif le vêtement d'"arménien" de Jean-Luc Moreau et donc ne pas souligner l'élégance des tenues conçues par Mathilde Penin ?
Pour couronner le tout, le décor elliptique de Charlie Mangel est un écrin parfait pour la vive querelle qui va opposer les deux philosophes.
Faire converser sur scène deux noms illustres est devenu un genre en soi, mais ce qui scelle la supériorité du "Voltaire Rousseau" sur ses concurrents c'est qu'ici on a l'impression d'être constamment en mouvement et pas celle d'entendre se succéder des phrases célèbres ou des mots d'auteur.
Pleine de vie et de trouvailles, la mise en scène de Jean-François Prévand et Jean-Luc Moreau transforme le duel d'idées en un affrontement qui à tout moment est proche de dégénérer en échange de coups.
Cette rencontre, réelle, à Ferney en 1765 est évidemment l'occasion de charger la barque avec tout ce qui oppose les deux Géants du 18ème siècle autant intellectuellement que mesquinement.
La connaissance de son sujet par Jean-François Prévant lui permet d'éviter le côté ^Que-Sais-Je ?"ou pire le côté "Wikipédia". On apprendra des choses, beaucoup de choses, mais on n'aura jamais le droit à une accumulation indigeste de références lâchées hors contexte.
Et puis, il ne faut pas bouder son plaisir, " Voltaire Rousseau" est avant tout un spectacle divertissant qui repose sur la complicité de deux acteurs vraiment heureux et à leur meilleur dans la peau des deux penseurs. On n'hésitera donc pas à dire que deux monstres sacrés en incarnent deux autres.
Jean-Paul Farré est un Voltaire puissant, toujours prêt à décocher une flèche d'ironie quand son intelligence ne suffit pas à embobiner son adversaire. Face à lui, Jean-Luc Moreau est un Jean-Jacques plus écorché vif que jamais, enfiévré d'utopie, malade de trop aimer une humanité qui ne le comprend pas.
Évidemment, Jean-François Prévand, auteur de l'inoubliable "Voltaire's folies", ne peut cacher sa préférence pour ce bon vivant d'Arouêt, prototype du bourgeois athée, plutôt que pour ce malheureux promeneur solitaire, inventeur du déterminisme social, ancêtre de tous les révolutionnaires, et portant su lui la triste condition humaine.
Cette partialité pourrait - enfin - être la petite pique que l'on adresserait à Jean-François Prévand. Mais, même là, la scène finale qui donne le dernier mot à Jean-Luc en Jean-Jacques, rétablit l'équilibre pour que ce spectacle totalement réussi s'achève en apothéose émouvante. |